IMPOSITION DES DIVIDENDES FRANÇAIS EN BELGIQUE

 


 

Article publié dans la Revue « Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires » N° 142 (Année 2005)


 

L’imposition des dividendes français perçus par un résident belge, personne physique, est réglée par la convention franco-belge.

Les conventions fiscales n’ont pas pour objet de définir le régime d’imposition, mais de répartir le droit d’imposer entre chaque état.

L’article 15 de ladite convention dispose que «Les dividendes ayant leur source dans un Etat contractant qui sont payés à un résident de l’autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat.

Toutefois, sous réserve des dispositions du paragraphe 3, ces dividendes peuvent être imposés dans l’Etat contractant dont la société qui paie les dividendes est un résident, et selon la législation de cet Etat, mais l’impôt ainsi établi ne peut excéder :

– 10 p. cent du montant brut des dividendes si le bénéficiaire est une société qui a la propriété exclusive d’au moins 10 p. cent du capital de la société distributrice des dividendes depuis le début du dernier exercice social de celle-ci clos avant la distribution ;

– 15 p. cent du montant brut des dividendes dans les autres cas. Ce paragraphe ne concerne pas l’imposition de la société pour les bénéfices qui servent au paiement des dividendes

…. »

Cette disposition instaure donc un partage de l’imposition entre le pays de la résidence et le pays de la source du revenu.

Il y a ainsi une imposition française à la source et une imposition belge lorsque les dividendes sont encaissés.

Par ailleurs, le paragraphe 3 de l’article 15 a pour objet d’étendre le bénéfice de l’avoir fiscal attaché aux dividendes distribués par les sociétés françaises aux personnes physiques résidentes de la Belgique.

L’attribution de l’avoir fiscal aux personnes physiques résidentes de la Belgique ne concerne que les produits distribués par les sociétés françaises qui y ouvriraient droit s’ils étaient encaissés par des personnes ayant leur domicile ou leur siège en France.

Cependant, la loi de finances pour l’année 2004 a profondément modifié le régime français d’imposition des revenus mobiliers. Cette réforme a principalement eu pour conséquence, la suppression de l’avoir fiscal, auquel il a été substitué un abattement de 50 %. Cette réforme est entrée en vigueur au 1er janvier 2005.

REGIME D’IMPOSITION ANTERIEUR AU 1ER JANVIER 2005 :

IMPOSITION DES DIVIDENDES AVEC AVOIR FISCAL

Les dividendes de source française versés à des personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal en France doivent supporter, d’abord, la retenue à la source prévue par la convention de 15 %.

Recourir à un exemple, rendra le mécanisme plus explicite.

Prenons l’hypothèse, d’un contribuable qui perçoit un dividende de 100. Sur ce dividende de 100, il a droit, conformément à l’article 15-3 de la convention à l’attribution de l’avoir fiscal, soit 50 % du montant du dividende.

Cet avoir fiscal constitue un complément de revenu imposable en Belgique au nom du bénéficiaire comme le dividende lui-même.

Ainsi pour un dividende de 100, donnant droit à un avoir fiscal de 50, le revenu globalement imposable de source française est de 150.

La retenue à la source de 15 % est donc appliquée sur les 150, soit 150 x 15 % = 22,5 de retenue à la source prélevée.

Donc le montant total du revenu perçu en France et imposable ultérieurement en Belgique est de 127,50.

Sur ces 127,50 est appliqué le précompte mobilier belge, calculé au taux du droit interne belge, c’est à dire en règle générale 25 %, soit 127,50 x 25 % = 31,87 de précompte mobilier.

En conclusion, le contribuable résident de Belgique, sur son dividende de 100, versé en France, reçoit en réalité, avec le mécanisme de l’avoir fiscal, 150 – (22,50 + 31,87) = 95,63 de dividendes net d’imposition.

Il y avait double imposition, car le droit fiscal belge ne permet pas au bénéficiaire des dividendes d’origine étrangère d’imputer l’impôt étranger sur l’impôt dû en Belgique.

Cependant, la double imposition existant entre le deux pays était totalement compensée par l’attribution de l’avoir fiscal.

IL convient de souligner toutefois que, dans la pratique, le mode de recouvrement se faisait en deux temps.

Tout d’abord le dividende perçu supportait en France, la retenue au taux commun, soit 25 %.

Puis une fois que le contribuable avait apporté la preuve qu’il était effectivement non résident et que ces dividendes avaient bien été déclarés en Belgique, il pouvait demander le bénéfice de la convention. A ce moment là, la retenue à la source était réduite à 15%, et l’avoir fiscal pris en compte et reversé.

Selon les instructions de l’Administration fiscale belge, chacun de ces deux paiements devait être déclaré en Belgique au titre de l’année de son encaissement effectif.

Pour demander le bénéfice de la convention franco-belge, il fallait récupérer un formulaire auprès du Bureau Central de Taxation Etranger.

Sur la base de ce formulaire, on obtenait le bénéfice de la convention, l’application du taux de retenue à la source de15 % et l’attribution de l’avoir fiscal.

REGIME D’IMPOSITION EN VIGUEUR AU 1ER JANVIER 2005 :

IMPOSITION DES DIVIDENDES SANS AVOIR FISCAL

Depuis le 1er janvier 2005, l’avoir fiscal a été supprimé. Cette réforme apparaît préjudiciable aux non-résidents.

La suppression de l’avoir fiscal a été accompagnée de l’instauration d’un abattement de 50 % ( imposition sur une « demi-base ») pour le calcul de l’impôt sur le revenu, un abattement fixe et l’octroi d’un crédit d’impôt plafonné.

L’abattement de 50 % institué par le nouvel article 158 3° du CGI concerne les dividendes de source française ou étrangère, mais le texte ne prévoit aucune précision quant aux bénéficiaires des dividendes. Cet abattement ayant été institué pour le calcul de l’impôt sur le revenu, il ne s’applique pas aux non résidents.

L’instruction administrative du 11 août 2005 est très claire sur la question. Elle expose les modalités d’imposition du nouveau régime pour les résidents, personnes physiques. Dans le titre suivant, est décrit le principe du prélèvement de la retenue à la source pour les non résidents, avec possibilité de réduction en fonction des conventions fiscales.1

Quant à l’abattement fixe annuel de 1 220 € pour les contribuables célibataires, divorcés ou veufs et de 2 440 € pour les contribuables mariés, l’administration a précisé qu’il ne s’applique qu’aux résidents français.

Enfin, en vertu de l’article 200 septies du CGI, les contribuables résidents français bénéficient d’un crédit d’impôt égal à 50 % du montant des revenus imposés, plafonnés à 115 € pour les contribuables célibataires et 230 € pour les contribuables mariés soumis à une imposition commune.

Même si le texte ne vise que les contribuables résidents français, ce crédit d’impôt devrait logiquement s’appliquer aux contribuables non résidents d’un pays lié à la France par une convention fiscale qui prévoit le transfert de l’avoir fiscal (cf rapport de l’Assemblée nationale n°1110 p. 19).

Ceci étant, il s’agit d’un montant trop faible pour avoir une quelconque influence sur l’imposition.

En reprenant l’exemple ci-dessus, le régime d’imposition se défi nit désormais de la manière suivante :

Les dividendes de source française versés à des personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal en France doivent toujours supporter d’abord, la retenue à la source prévue par la convention de 15 %.

(1) Instruction n°140 du 11 août 2005, BOI 5 I-2-05 Titre 2 n° 16 et Titre 3 n° 103

Un contribuable qui perçoit un dividende de 100, se voit toujours appliquer la retenue conventionnelle de 15 %, soit 15.

En Belgique, les dividendes encaissés sont donc de 85 (100 – 15). Le précompte mobilier est appliqué sur ce montant net, appelé « net frontière » par l’administration fiscale belge. Le précompte mobilier est de 25 %.

Donc l’imposition en Belgique est égale à 85 x 25 % = 21,25

En conclusion, le contribuable résident de Belgique, sur son dividende de 100, versé en France, reçoit maintenant, sans le mécanisme de l’avoir fiscal, 100 – (15 + 21,25) = 63,75 de dividendes net d’imposition.

La double imposition n’est pas évitée et le coût fiscal est beaucoup plus important.

Quant au mode de recouvrement, il reste semblable avec ou sans avoir fiscal.

En conclusion sur le plan des principes du droit fiscal international, on constate donc que l’encaissement de dividendes étrangers, en Belgique, est plus pénalisant que l’encaissement de dividendes belges :

– la double imposition, suite à la suppression de l’avoir fi scal français, demeure entre les deux pays et est accentuée.

– l’encaissement des dividendes français ouvrent doit à un abattement de 50 % en France, dont les non résidents ne peuvent pas bénéficier.

A ce stade, les administrations nationales ne semblent pas disposées à changer quoique ce soit au système, bien que conscientes de cet état de fait.

En revanche, à un niveau beaucoup plus général, la Commission européenne s’est intéressée à la problématique des dividendes.

LES TRAVAUX EUROPEENS, EN MATIERE DE DIVIDENDES

L’imposition des dividendes perçus par des personnes physiques n’est pas harmonisée au niveau de l’UE et la Commission n’a pas l’intention de procéder à une harmonisation.

Cependant il est tout à fait clair pour les Institutions européennes que, les Etats membres ne peuvent pas restreindre la libre circulation des capitaux au sein de l’UE.

Il en résulte que les dividendes en provenance d’un autre Etat membre perçus par des actionnaires particuliers ne peuvent pas faire l’objet d’une imposition supérieure à celle à laquelle sont soumis les dividendes «domestiques». De même, les dividendes versés à des personnes physiques dans un autre Etat membre ne peuvent pas faire l’objet d’une imposition supérieure à celle à laquelle sont soumis les dividendes «domestiques».

La Commission a publié une communication en la matière en décembre 20032 et elle invite les Etats membres à coopérer pour pouvoir traiter rapidement des questions qui y sont examinées. Si les Etats membres n’arrivent pas à se mettre d’accord sur des solutions, la Commission a prévenu les Etats qu’elle serait contrainte de lancer des actions juridiques contre les Etats membres dont les règles en matière d’imposition des dividendes ne sont pas conformes au Traité.

Les Etats membres utilisent différents systèmes pour imposer les dividendes au niveau des actionnaires personnes physiques. Pour les dividendes «domestiques», la plupart des Etats membres préviennent ou réduisent la double imposition économique (qui résulte de la perception, sur le même dividende, de l’impôt sur les sociétés et de l’impôt sur les revenus) en appliquant :

– un système d’imputation ou

– un système cédulaire.

Lorsque les Etats membres font une distinction entre le traitement fiscal des dividendes «domestiques » et celui des dividendes «entrants» et «sortants», dans l’application de leur système, il peut en résulter une restriction aux investissements transfrontaliers et une fragmentation des marchés des capitaux dans l’UE.

Dans sa jurisprudence, la Cour de Justice des Communautés Européennes a examiné cette question à la lumière des dispositions relatives à la libre circulation des capitaux. Elle a jugé qu’une mesure prévoyant un traitement fiscal différent pour les dividendes «domestiques» par rapport aux dividendes «entrants» est en principe incompatible avec ces dispositions.

L’analyse de la jurisprudence conduit à certaines conclusions quant à la conception des systèmes d’imposition des dividendes.

Les Etats membres ne peuvent pas imposer plus lourdement :

– les dividendes UE «entrants» par rapport aux dividendes «domestiques»; ou

– les dividendes UE «sortants» par rapport aux dividendes «domestiques».

Dans sa communication, la Commission soulève un problème de double imposition juridique qui peut découler des imputations de retenues à la source perçues à l’étranger.

Les dividendes entrants sont imposés plus lourdement que les dividendes domestiques si le pays, qu’il applique le système cédulaire ou classique, utilise la méthode de déduction au lieu d’accorder des crédits d’impôt pour les retenues à la source perçues à l’étranger.

C’est tout à fait le cas de la Belgique.

D’ailleurs l’exemple de calcul repris par la Commission dans sa communication correspond exactement à l’exemple donné pour expliciter le calcul franco-belge.

La Commission demande donc aux Etats membres de reconsidérer leurs systèmes à la lumière de la jurisprudence.

(2) Communication de la Commission Imposition des dividendes au niveau des personnes physiques dans le marché intérieur (COM/2003/810 du 19 décembre 2003)

La Cour de Justice a effectivement déclaré à nouveau en septembre 2004, dans l’affaire Manninen3, que « les articles 56 CE et 58 CE s’opposent à une réglementation en vertu de laquelle le droit d’une personne assujettie à l’impôt à titre principal dans un État membre au bénéfice de l’avoir fiscal en raison des dividendes qui lui sont versés par des sociétés anonymes est exclu lorsque ces dernières ne sont pas établies dans cet État. »

La Cour reprend ici ce qu’elle avait déjà énoncé en 2000, dans l’affaire Verkooijen4.

La Commission précise que, si aucune solution ne peut être trouvée en dépit de la logique évidente de l’approche présentée, elle prendra, en sa qualité de gardienne du Traité, les mesures nécessaires pour assurer le respect effectif des dispositions du Traité, notamment en saisissant la CJCE, conformément à l’article 226 du Traité CE.

UNE QUESTION PREJUDICIELLE POSEE PAR LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DE GAND A LA CJCE CONCERNANT LA NON IMPUTATION DE L’IMPOT ETRANGER RETENU A LA SOURCE SUR DES DIVIDENDES

Le 1er décembre 2004, le Tribunal de première instance de Gand a eu à statuer sur les faits suivants : un résident belge personne physique avait recueilli des dividendes d’origine française pour les exercices d’imposition 1996 et 1997. sur base de la convention franco-belge, il avait demandé l’imputation d’un crédit d’impôt de 15 % qui est l’impôt payé en France et contestait donc l’imposition au taux plein.

Le fisc ignora sa demande et rejeta la réclamation. Le contribuable porta donc l’affaire devant le tribunal, au motif que la non imputation est contraire à la fois à la convention, et au principe de droit communautaire de la libre circulation des capitaux.

Il fit valoir en effet que les dividendes étrangers et belges sont soumis au même taux d’imposition, mais dans la mesure où les dividendes étrangers subissent un impôt étranger non imputable sur l’impôt belge, il en résulte une imposition accrue sur les dividendes étrangers par rapport aux dividendes « domestiques ».

Le juge du tribunal décide alors de poser la question préjudicielle suivante à la CJCE :

« l’article 56 alinéa 1 du Traité CE doit-il être interprété comme interdisant une limitation découlant d’une disposition de la législation relative aux impôts sur le revenu d’un Etat membre (la Belgique en l’occurrence), en vertu de laquelle tant les dividendes sur actions de sociétés établies dans cet Etat membre que les dividendes sur actions de sociétés non établies dans cet Etat membre sont assujettis, dans le chef de l’actionnaire, à un même taux uniforme, mais où, à l’égard des dividendes sur actions de sociétés non établies dans cet Etat membre, aucune imputation de l’impôt à la source appliqué dans cet autre Etat membre n’est autorisée ? »

Jusqu’à présent la jurisprudence belge ne semble pas considérer que l’absence d’imputation d’un crédit d’impôt sur l’impôt interne belge, puisse être contraire aux conventions internationales.

(3) Arrêt de la Cour (grande chambre) du 7 septembre 2004. – Petri Manninen. Affaire C-319/02. – http://curia.eu.int
(4) Arrêt de la Cour du 6 juin 2000 – Staatssecretaris Van Vinancien et BGM Verkooigen Affaire C-35/98 – http://curia.eu.int

Il y a donc peu de chance que ce contribuable ait gain de cause sur base de l’interprétation de la convention franco-belge.

En revanche l’application du droit communautaire devrait être un fondement juridique particulièrement sérieux, compte tenu des travaux de la Commission européenne et de la jurisprudence de la CJCE, qui ont été développés précédemment.

Il paraît très probable que la Cour de Justice répondra par l’affi rmative à la question posée par le Tribunal de première instance de Gand.

La Belgique serait alors sans doute contrainte de modifi er sa législation, ainsi que la France l’a fait en ce début d’année avec la suppression de « l’exit tax », qui frappait notamment les contribuables français qui voulaient s’installer en Belgique, après avoir cédé leurs entreprises.

Enfin, il faut savoir que la situation va peut-être évoluer pour des raisons conjoncturelles.

En effet une offre mixte a été lancée au mois d’août dernier par le conglomérat franco-belge Suez sur les actions de la société belge Electrabel.

De ce fait, de nombreux actionnaires minoritaires belges risquent de voir leur portefeuille d’actions d’Electrabel remplacé par des actions françaises de Suez.

La valeur du dividende de Suez ne sera pas le même pour un investisseur français ou belge, pour les raisons fi scales énoncées dans cet article.

Cela suscite bien évidemment de nombreuses questions, relayées par la presse.

Aussi le Ministre des Finances belge, Didier Reynders s’est dit prêt à débattre de la double taxation des dividendes, dans une interview accordée au Journal l’Echo le 7 septembre 2005.

Il ne faudra peut-être pas attendre la réponse de la Cour de Justice des Communautés européennes, pour voir la situation changer.

Affaire à suivre….

Françoise VANDOREN
Avocat aux Barreaux de Paris et Bruxelles
Docteur en Droit

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