Article publié dans la Revue « Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires » N° 137 (Année 2004)
Dans un arrêt très important rendu en date du 11 juin 2003, le Conseil d’État a permis aux étrangers résidant à Monaco (c’est-à -dire les résidents monégasques de nationalité autre que française ou monégasque), disposant d’une ou plusieurs habitations en France, d’échapper à l’imposition forfaitaire applicable en France aux non-résidents à raison de l’article 164 C du CGI, sur la base de trois fois la valeur locative de cette, ou de ces habitations.
Néanmoins, cette solution est loin d’avoir réglé toutes les interrogations soulevées par l’application de l’article 164 C aux résidents « étrangers » de Monaco. En effet, l’exclusion de l’imposition forfaitaire prévue par cette disposition ne concernera que certains étrangers résidents de la principauté. La solution rendue par le Conseil d’État trouve son fondement dans l’argumentation développée par les requérants, tenant à ce que leur soumission à l’article 164 C du CGI contrevenait aux clauses de non-discrimination contenues dans les conventions conclues par la France avec les États dont ils possèdent la nationalité.
Si la solution rendue par la Haute juridiction s’inscrit dans la logique de ce raisonnement, notamment dans l’appréciation de la discrimination ainsi dénoncée, elle voit sa portée particulièrement limitée en ce qu’elle dépend largement de l’hétérogénéité des conventions applicables.
En effet, outre la question fondamentale de l’appréciation de la discrimination, sur laquelle nous reviendrons, le Conseil d’État devait résoudre une autre question fondamentale : celle de l’application des clauses de non-discrimination aux ressortissants des États signataires, résidents d’un État tiers. L’affaire Biso concernait en effet le cas d’un couple italo-britannique, résidant à Monaco, et détenant plusieurs résidences secondaires en France. Le couple invoquait ainsi les clauses de non-discrimination contenues dans les conventions franco-italienne et franco-britannique.
Sur ce point, la doctrine considère généralement que les clauses de non-discrimination figurant dans les conventions de double imposition sont autonomes, et n’ont n’a pas à être interprétées par référence aux autres dispositions de la convention. La précision est importante, car la convention limite généralement son application aux résidents des États signataires, alors que la clause de non-discrimination s’applique aux nationaux de ces États. Dans cet ordre d’idées, l’autonomie de la clause de non-discrimination permettrait son application aux nationaux des États signataires quelle que soit leur résidence.
Cependant, le Conseil d’État ne s’est pas engagé dans la voie de l’application autonome des clauses de non-discrimination. Au contraire, la solution dégagée s’appuie en particulier sur le constat de la grande diversité qui caractérise la rédaction des conventions et des clauses de non-discrimination qu’elles contiennent généralement. Il en résulte ainsi qu’une clause de non-discrimination ne pourra être utilement invoquée par les étrangers résidant à Monaco, pour autant que sa rédaction précise expressément qu’elle s’applique aux nationaux des États contractants quelle que soit leur résidence, ou bien que la convention applicable ne limitant pas expressément son application aux résidents des États signataires, la clause de non-discrimination ne fait référence qu’au critère de la nationalité.
L’incidence majeure de la jurisprudence Biso, outre la possibilité reconnue aux résidents étrangers de Monaco d’échapper à l’application de l’article 164 C du CGI en invoquant la clause de non-discrimination contenue dans une convention fiscale, est néanmoins de soumettre cette solution à la variabilité du mode rédactionnel des conventions applicables.
Les résidents étrangers de Monaco, placés dans une situation identique, seront donc soumis ou non à l’imposition de l’article 164 C du CGI, selon le champ d’application de la clause de non-discrimination contenue dans la convention qui leur est applicable. Ceux de ces résidents bénéficiant d’une clause de non-discrimination applicable aux ressortissants des États signataires résidents d’États tiers échapperont à cette imposition, tandis que ceux de ces résidents ne bénéficiant pas d’une telle clause dans la convention qui leur est applicable seront soumis à l’imposition de l’article 164 C à raison de l’habitation dont ils ont la disposition en France.
L’application de l’imposition est ainsi déterminée en fonction de la rédaction d’une clause conventionnelle dont le critère déterminant de mise en œuvre sera la nationalité et non la résidence.
La jurisprudence Biso, et le refus d’une application autonome des clauses de non-discrimination, fait ainsi naître une nouvelle discrimination potentielle entre résidents étrangers de Monaco (1), selon la convention fiscale applicable, et in fine en fonction de la nationalité de ces résidents.
Or, lorsque cette différence de traitement concerne des ressortissants communautaires, résidant à Monaco, qui, malgré l’identité de leur situation, seront soumis pour certains à l’imposition de l’article 164 C du CGI, tandis que d’autres y échapperont, en fonction des clauses de non-discrimination contenues dans les conventions applicables; il nous semble possible d’identifier une atteinte potentielle à l’exercice des libertés fondamentales du traité de Rome, résultant du champ d’application de ces conventions fiscales. Nous savons, à ce propos, que la Cour de Justice des Communautés européennes censure les entraves fiscales à l’exercice des libertés économiques du traité qui résultent de l’application des conventions fiscales (2).
L’objet de la présente étude consistera, en conséquence, à déterminer dans quelle mesure, s’agissant de résidents monégasques ressortissants d’États membres de la Communauté européenne, les différences de traitement résultant, entre ces ressortissants, de la jurisprudence Biso, sont susceptibles de tomber sous le joug du principe communautaire de non-discrimination.
Dans ce dessein, deux mouvements seront nécessaires. Nous nous attacherons, dans un premier temps, à la caractérisation de la discrimination entre ressortissants communautaires résidant sur le territoire monégasque, qui résulte de l’application de la jurisprudence « Biso », avant de déterminer dans l’exercice de quelle liberté fondamentale garantie par le Traité, la discrimination ainsi caractérisée pourrait être invoquée.
Â
LE TRAITEMENT DIFFERENCIE ENTRE RESIDENTS MONEGASQUES RESSORTISSANTS DE LA COMMUNAUTE,
RESULTANT DE LA JURISPRUDENCE BISO
Â
La solution dégagée par le Conseil d’État dans l’affaire Biso est le résultat d’un long combat engagé par les résidents étrangers de Monaco, afin de contester leur imposition au titre de l’article 164 C, alors que les résidents monégasques de nationalité française échappent à cette imposition, en vertu de l’application combinée de l’article 164 C du CGI et de l’article 7-1 de la convention franco-monégasque (3).
En permettant à certains de ces résidents d’échapper à l’application de l’article 164 C en invoquant la clause de non-discrimination d’une convention, le Conseil d’État a cependant fait naître une discrimination potentielle entre ces résidents monégasques et les autres résidents de la principauté qui ne peuvent bénéficier des effets d’une telle clause.
Lorsque les résidents monégasques, placés dans chacune de ces situations possèdent la nationalité d’un État membre de la Communauté européenne, il en résulte ainsi un traitement différencié entre ressortissants communautaires, en fonction de la nationalité, dans l’application en France d’une imposition.
Il s’agit là de la discrimination qui est l’objet de la présente étude. La particularité des effets de la jurisprudence Biso est ainsi d’avoir fait naître une discrimination potentielle entre ressortissants communautaires, après avoir partiellement réglé le sort du traitement différencié entre français et résidents étrangers de Monaco, susceptibles de tomber sous le joug de certaines conventions fiscales.
La précision est importante car, sur le terrain du droit communautaire, le débat se trouve déplacé de l’appréciation d’une discrimination entre les résidents monégasques de nationalité française et les résidents monégasques ressortissants d’autres États membres, vers l’appréciation d’une discrimination entre ressortissants communautaires de nationalité autre que française, selon que ces ressortissants bénéficient ou non des effets d’une convention fiscale.
Or, à ce propos, compte tenu de la situation particulière des résidents monégasques de nationalité française (non-privilégiés), il n’est pas certain que l’application du droit communautaire aurait abouti à une solution analogue à celle dégagée par le Conseil d’État dans l’affaire Biso (A). Paradoxalement, il nous semble ainsi qu’il s’agit justement des imperfections de cette jurisprudence, qui permettent d’identifier une discrimination particulière susceptible de relever de la « justiciabilité » du droit communautaire (B).
L’ABSENCE DE DISCRIMINATION CONTRAIRE AU DROIT COMMUNAUTAIRE ENTRE RESIDENTS MONEGASQUES DE NATIONALITE FRANÇAISE, ET RESIDENTS MONEGASQUES RESSORTISSANTS D’UN ÉTAT MEMBRE
L’arrêt rendu en date du 11 juin 2003 par le Conseil d’État a suscité de nombreuses réactions de la doctrine. À ce propos, si la question de l’application du principe communautaire de non-discrimination a pu être évoquée, celle-ci n’a fait jusqu’à présent l’objet d’aucune étude spécifique.
Comme nous l’avons relevé, le Conseil d’État, dans l’affaire Biso, devait statuer sur la violation des clauses de non-discrimination contenues dans les conventions franco-italienne et franco-britannique, invoquées par un couple de résidents monégasques imposés en France au titre de l’article 164 C du CGI, dès lors que les résidents monégasques de nationalité française échappent, quant à eux, à cette imposition.
Tout en reconnaissant le bien fondé d’un tel moyen, le Conseil d’État en a néanmoins limité la portée, selon que la clause de non-discrimination contenue dans la convention invoquée s’applique ou non, compte tenu de sa rédaction, aux ressortissants des États signataires résidents d’États tiers.
Comme nous l’avons également relevé, cette solution est susceptible de produire une nouvelle discrimination entre les résidents monégasques ressortissants de la Communauté européenne selon qu’ils sont, ou non, en mesure d’invoquer utilement la clause de non-discrimination contenue dans la convention qui leur est applicable. Or, nous l’avons souligné, c’est précisément cette discrimination en particulier qui nous semble justiciable du droit communautaire.
La précision est importante à un double titre : d’une part en ce que cette « nouvelle » discrimination est une conséquence directe de l’affaire Biso, et d’autre part en ce que le traitement différencié entre résidents monégasques ressortissants de la Communauté, et résidents monégasques de nationalité française, ne semblait pas réunir les conditions nécessaires afin de caractériser une discrimination au sens du droit communautaire.
Nous rappellerons ainsi brièvement le raisonnement qui a conduit le Conseil d’État à caractériser la violation d’une clause de non-discrimination dans l’affaire Biso, afin de déterminer les raisons qui nous permettent de relever que ce raisonnement ne pouvait être appliqué dans le cadre d’une analyse menée à la lumière du principe de non-discrimination dans son acception communautaire.
Ces développements nous permettront de souligner qu’il ne s’agit pas du cas soumis au Conseil d’État dans l’affaire Biso qui nous semble justiciable du droit communautaire, mais bien les conséquences qui résultent, pour les résidents monégasques, de la solution rendue par la Haute juridiction dans cette affaire.
La discrimination caractérisée par le Conseil d’État au regard du dispositif conventionnel
Dans l’affaire Biso, le Conseil d’État devait donc statuer sur le cas d’un couple italo-britannique résidant sur le territoire monégasque, et détenant plusieurs habitations en France. Installés sur le territoire de la Principauté depuis l’année 1982, ils contestaient leur imposition en France sur le fondement de l’article 164 C du CGI sur la base de trois fois la valeur locative de ces habitations, en invoquant les clauses de non-discrimination contenues respectivement dans les conventions franco-italienne et franco-britannique.
Les résidents monégasques de nationalité française, placés dans une même situation (4), ne supportent pas, en effet, l’application de l’article 164 C du CGI dans la mesure où, conformément à l’article 7-1 de la convention franco-monégasque, ils sont domiciliés fiscalement en France, bien qu’ils n’y résident pas effectivement (5).
Ainsi domiciliés sur le territoire français, ils y sont imposés à raison de leurs revenus mondiaux, dans les mêmes conditions que les résidents.
C’est la raison pour laquelle les résidents monégasques de nationalité française entrant ainsi dans le champ de l’article 7-1 de la convention franco-monégasque, ne sont pas soumis à l’imposition de l’article 164 C du CGI applicable en France aux non-résidents qui y disposent d’une ou plusieurs habitations, sur la base d’un revenu forfaitaire égal à trois fois la valeur locative de cette ou de ces habitations, dès lors que ces non-résidents ne disposent pas de revenus de source française, supérieurs à cette base forfaitaire.
Dans l’appréciation de la discrimination ainsi invoquée, le Conseil d’État a validé l’analyse qui avait déjà été retenue par les juges des premier et second degrés. La Haute juridiction a tout d’abord accepté d’apprécier la violation des clauses de non-discrimination, tant au regard du droit interne que d’une autre convention, intégrant ainsi dans l’analyse les effets sur l’application de l’article 164 C du CGI, de l’article 7-1 de la convention franco-monégasque.
À ce titre, la Haute juridiction a retenu la violation des clauses de non-discrimination alléguée par les requérants, en relevant en particulier que le traitement différent entre les résidents monégasques de nationalité française et les étrangers résidant à Monaco au titre 164 C du CGI, en application de l’article 7-1 de la convention franco-monégasque, reposait uniquement sur la nationalité, sans être justifié par une différence objective de situation.
Le juge de l’impôt considère ainsi que la circonstance que les français non-privilégiés, résidents de la Principauté, qui disposent d’une ou plusieurs habitations en France, sont soumis en France à une obligation fiscale illimitée, ne constitue pas une différence objective de situation.
Il relève au contraire que, si les requérants ne peuvent échapper à l’imposition forfaitaire de l’article 164 C, ce n’est qu’en raison de leur nationalité, à l’inverse des français « non-privilégiés », qui, domiciliés fiscalement en France par l’effet de l’article 7-1 de la convention franco-monégasque, sont donc imposés en France sur leurs revenus mondiaux, et non sur une base forfaitaire.
Le juge de l’impôt identifie une discrimination dans l’application d’une imposition différente (6), mais pas forcément plus lourde, en fonction du seul critère de la nationalité.
Ce raisonnement présente, par certains égards, un côté paradoxal : il permet finalement aux requérants de contester leur imposition au titre de l’article 164 C du CGI sur le fondement de la clause de non-discrimination contenue dans une convention, au motif que leur nationalité ne leur permet pas d’échapper à cette imposition, dans les mêmes conditions que les français non-privilégiés, c’est-à -dire en étant soumis en France à obligation fiscale illimitée, et donc ,en tout état de cause, à une imposition plus lourde (7) …
Si le principe de non-discrimination invoqué dans l’affaire Biso l’avait été non sur le fondement d’une clause conventionnelle, mais sur le fondement du droit communautaire, il ne nous semble pas qu’un tel raisonnement aurait été possible.
Une discrimination difficilement caractérisable au regard du principe communautaire de non-discrimination
Dans le domaine d’application du traité la Cour de Justice des Communautés européennes censure tant les discriminations ostensibles fondées sur la nationalité, que les discriminations déguisées qui, par d’autres critères, aboutissent dans les faits à un résultat identique.
Dans le cadre de cette démarche, la Cour de Justice définit la discrimination dans l’application de règles semblables à des situations différentes, ou bien de règles différentes à des situations comparables.
Certes, il est indéniable que l’effet de l’application combinée de l’article 7-1 de la convention franco-monégasque avec l’article 164 C du CGI est d’instaurer une différence de traitement entre les résidents monégasques de nationalité française détenant une ou plusieurs habitations en France (non-privilégiés) et les autres résidents monégasques ressortissants d’autres États membres de la Communauté, placés apparemment dans la même situation. Cette différence de traitement est indéniablement fondée sur la nationalité. Mais est-elle pour autant constitutive d’une discrimination au sens du droit communautaire ?
L’article 7-1 de la convention franco-monégasque prend en compte la proximité des territoires monégasques et français. À ce titre, afin de remédier aux risques d’évasion fiscale qui auraient pu résulter de transferts de domiciles vers le territoire monégasque, cet article opère une domiciliation fiscale sur le territoire français, des résidents monégasques de nationalité française qui ont transféré leur domicile à Monaco, ou qui ne peuvent justifier de cinq ans de résidence habituelle sur le territoire monégasque au 13 octobre 1962.
Ces français sont ainsi assujettis en France à l’impôt sur le revenu selon le régime de droit commun, et sont donc soumis à une obligation fiscale illimitée.
Dans ces circonstances, il était logique qu’ils ne supportent pas, en outre, l’imposition prévue à l’article 164 C du CGI s’agissant de la disposition d’une ou plusieurs habitations en France, qui s’applique aux non-résidents, qui eux, n’ont qu’une obligation fiscale restreinte sur le territoire français.
Ainsi, les autres résidents monégasques ressortissants de la Communauté, disposant d’une ou plusieurs habitations en France, se voient soumis aux dispositions de l’article 164 C, puisque n’ayant pas leur résidence fiscale en France, ils n’y sont pas soumis à l’impôt sur le revenu à raison de leurs revenus mondiaux.
Dans l’appréciation à laquelle il s’est livré de la violation d’une clause de non-discrimination contenue dans une convention, le Conseil d’Etat n’a pas considéré que cette différence de situation juridique pouvait constituer une différence objective de situation de nature à justifier un traitement différencié, dans l’application de l’article 164 C du CGI.
Un tel raisonnement ne nous semble pas transposable dans le cadre d’un examen de la situation au regard du principe communautaire de non-discrimination.
D’une part, il est difficile de considérer que les français non-privilégiés résidant à Monaco se trouvent dans une situation comparable à celle des résidents monégasques ressortissants d’autres États membres, du fait de leur soumission en France à une obligation fiscale illimitée. Si cette domiciliation ne résulte que de l’application de règles juridiques, il n’en reste pas moins qu’elle aboutit, concrètement, à imposer sur le territoire français, les français non-privilégiés comme des résidents. L’effet concret qui en résulte sur le patrimoine des intéressés nous semble constituer une différence de situation objective. C’est pourquoi, dans le cadre très précis de l’application de l’article 7-1 de la convention franco-monégasque, on peut très bien considérer, pour ce qui concerne les français non privilégiés, que le critère de la résidence recouvre celui de la nationalité. Il est difficile, dans ce cas, d’admettre que les français non-privilégiés sont de véritables « non-résidents », et de conclure à la comparabilité de leur situation avec les autres résidents étrangers de Monaco et notamment les ressortissants communautaires (8).
La preuve en est qu’un ressortissant communautaire ayant son domicile fiscal en France pourra s’installer à Monaco en y transférant ce domicile fiscal, alors qu’un français restera, en tout état de cause, domicilié fiscalement sur le territoire français.
D’autre part, si la différence de traitement peut caractériser la violation d’une clause de non-discrimination contenue dans une convention, dès lors qu’elle consiste à traiter différemment nationaux et ressortissants de l’Etat contractant dans l’application d’une imposition, sans pour autant que les ressortissants de l’un des Etats contractants qui invoquent la violation de cette clause soit imposés plus lourdement ; le principe communautaire de non-discrimination impose au contraire aux États membres d’étendre sur leur territoire le bénéfice du traitement national aux ressortissants communautaires, dès lors que celui-ci est plus favorable que le traitement normalement réservé aux étrangers.
Or, il est indéniable que l’effet de l’article 7-1 de la convention franco-monégasque est de soumettre les résidents monégasques de nationalité française à un traitement moins favorable que les autres résidents de la Principauté puisque, en tout état de cause, ils supporteront sur le territoire français une imposition à raison de leur revenu mondial, au contraire des autres résidents monégasques qui, tout en jouissant des avantages procurés par le régime fiscal applicable sur le territoire de la Principauté, seront seulement imposés au titre de l’article 164 C, dès lors qu’ils disposent d’une ou plusieurs habitations en France dans les mêmes conditions que tout autre non-résident.
Si discrimination il y a, l’analyse de la situation sous le prisme du droit communautaire aboutit cependant à caractériser une discrimination à rebours au détriment des nationaux français.
En outre, même en occultant les développements qui précèdent, et en se fondant sur la prémisse que le dispositif résultant de l’application combinée de l’article 7-1 de la convention franco-monégasque, et de l’article 164 C du CGI, instaure une discrimination contraire à l’exercice des libertés du traité de Rome, il ne nous semble pas que la solution qui en résulterait sur le terrain du droit communautaire, pour les résidents monégasques ressortissants de la Communauté, soit favorable à ces derniers.
En effet, objectivement, l’exclusion de l’application de l’article 164 C aux résidents français de Monaco provient de ce que ces derniers sont fiscalement domiciliés en France dès lors qu’ils entrent dans les prévisions de l’article 7-1 de la convention franco-monégasque.
Nous savons, à ce propos, que le droit communautaire, depuis l’arrêt St Gobain Zn, oblige un État membre à étendre aux autres ressortissants communautaires, les avantages que cet État accorde sur son territoire à ses propres ressortissants en vertu d’une convention fiscale conclue avec un État tiers.
Or, dans notre cas d’espèce, il est évident que l’application de l’article 7-1 de la convention franco-monégasque aux résidents monégasques ressortissants de la Communauté européenne, dans les mêmes conditions que l’application qui en est faite aux français résidant sur le territoire de la Principauté, afin d’exclure l’application de l’article 164 C, aboutirait à une solution particulièrement absurde.
Une telle solution reviendrait en effet à ce que les résidents monégasques ressortissants de la Communauté soient fiscalement domiciliés en France, afin de ne pas être soumis au dispositif de l’article 164 C du CGI.
La soumission à l’article 164 C de ces contribuables est certainement plus avantageuse et n’a pas à être démontrée compte tenu du régime fiscal dont jouissent ces derniers sur le territoire de la Principauté…
Toutefois, si la discrimination invoquée dans l’affaire Biso nous semble difficilement caractérisable sur le fondement du principe communautaire de non-discrimination, il en est autrement, à notre sens, des conséquences de la solution rendue par le Conseil d’État dans cette affaire.
LA DISCRIMINATION ENTRE ETRANGERS RESIDENTS DE MONACO SELON LA CONVENTION APPLICABLE
Le refus d’une application autonome des clauses de non-discrimination contenues dans les conventions fiscales par le Conseil d’État constitue la source d’une nouvelle discrimination potentielle entre résidents étrangers de Monaco, ressortissants de la Communauté. Or, cette discrimination particulière qui résulte de la jurisprudence Biso, remplit, à notre sens, toutes les conditions susceptibles de justifier l’application du principe communautaire de non-discrimination.
La Source de la discrimination : le refus de l’autonomie des clauses de non-discrimination
Outre l’appréciation de la discrimination, comme nous l’avons relevé, le Conseil d’État devait résoudre dans l’affaire Biso une question fondamentale concernant la portée des clauses de non-discrimination inscrites dans les conventions fiscales : en présence d’un couple italo-britannique résidant à Monaco, la question consistait à déterminer si les clauses de non-discrimination contenues dans les conventions invoquées (les conventions fiscales franco-britannique et franco-italienne), pouvaient s’appliquer aux ressortissants des États membres signataires résidents d’un État tiers.
Face aux deux solutions qui pouvaient être retenues : à savoir, soit une application autonome des clauses de non-discrimination, soit l’application de ces clauses par référence aux autres dispositions de la convention, nous savons que le Conseil d’État a retenu la seconde solution. Or, cette solution fait dépendre l’efficacité des clauses de non-discrimination de la rédaction de la convention qui les contient, et plus particulièrement de la circonstance que cette rédaction permet d’étendre l’application de ces clauses aux ressortissants des États signataires résidents d’un État tiers.
En présence de résidents monégasques ressortissants de la Communauté, le traitement réservé à chacun de ces ressortissants à raison de la disposition d’une ou plusieurs habitations en France, diffèrera ainsi en fonction de la convention applicable, selon qu’il résulte de cette convention que la clause de non-discrimination quelle contient s’applique ou non aux ressortissants des États signataires, résidents d’États tiers.
En faisant ainsi dépendre l’application d’une imposition de la variabilité des conventions applicables, le Conseil d’État fait naître potentiellement une discrimination entre les bénéficiaires de ces conventions (9).
La conséquence : le traitement différencié en fonction des conventions applicables et de la nationalité
En présence de deux ressortissants communautaires résidents de la Principauté, et disposant d’une ou plusieurs habitations en France, les effets potentiels de la jurisprudence Biso sont aisément identifiables.
Celui de ces résidents qui peut invoquer une convention fiscale conclue entre la France et son État de nationalité, comportant une clause de non-discrimination applicable aux ressortissants des États signataires résidents d’États tiers, échappera à l’imposition de l’article 164 C du CGI ; au contraire de son homologue, dès lors que ce dernier ne peut, quant à lui, se prévaloir de la clause de non-discrimination contenue dans la convention qui lui est applicable.
Or, contrairement à l’appréciation des situations respectives des français non-privilégiés et des autres résidents de Monaco, ressortissants de la Communauté, dont la comparabilité, à la lumière du principe communautaire de non-discrimination ne peut aboutir à la caractérisation d’une discrimination justiciable du droit communautaire compte tenu du sort fiscal réservé aux résidents français de Monaco ; l’appréciation de la comparabilité des situations de ressortissants communautaires résidant sur le territoire monégasque, soumis à un traitement différent en fonction de la convention applicable à chacun, révèle un traitement différent résultant uniquement du champ d’application d’une clause conventionnelle, sans qu’aucune considération tirée de l’étendue de l’obligation fiscale de chacun sur le territoire français ne puisse ici interférer dans l’analyse (10).
Dans ce cas, la différence de traitement résulte uniquement d’une clause conventionnelle dont le critère d’application est exclusivement constitué par la nationalité de son bénéficiaire.
Nous savons, à ce propos, que la Cour de Justice oblige les États membres ayant conclu entre eux une convention fiscale bilatérale, à étendre le bénéfice d’une telle convention à l’ensemble des ressortissants communautaires se trouvant dans la même situation que les ressortissants des États signataires fondés à invoquer le bénéfice de cette convention (11).
Or, il est indéniable que deux ressortissants communautaires, résidant sur le territoire de la Principauté, et disposant d’une ou plusieurs habitations en France, se trouvent objectivement dans une situation identique.
Tous deux sont considérés comme des non-résidents par le droit fiscal français, et entrent donc virtuellement dans le champ d’application de l’article 164 C. Ils sont donc virtuellement imposables sur une base forfaitaire égale à trois fois la valeur locative de l’habitation, ou des habitations, dont ils ont la disposition en France.
Mais, conformément à la jurisprudence Biso, certains d’entre eux échapperont à cette imposition dès lors que la clause de non-discrimination contenue dans la convention conclue par la France avec leur État de nationalité a pour critère d’application expresse et exclusif, la nationalité.
Les autres ressortissants communautaires placés dans une situation identique, mais ne pouvant invoquer le bénéfice d’une telle clause, eu égard à l’économie du dispositif résultant de la convention conclue entre la France et leur État de nationalité, seront soumis à l’imposition de l’article 164 C du CGI.
Tel est le cas d’un ressortissant italien résidant sur le territoire de la Principauté, qui pourra échapper à l’application de l’article 164 C du CGI, alors que, par exemple, un ressortissant portugais sera, en principe, soumis à l’imposition forfaitaire prévue par cet article à raison de la disposition d’une ou plusieurs habitations en France.
Le principe communautaire de non-discrimination, et la jurisprudence de la Cour de Justice sur l’application des conventions fiscales bilatérales conclues entre États membres, devraient permettre, dans notre exemple, au ressortissant portugais, d’obtenir la décharge de l’imposition à laquelle il peut être soumis, dans les mêmes conditions que le ressortissant italien en vertu de la convention franco-italienne (12).
Ainsi mis en œuvre, le principe communautaire de non-discrimination permettrait en outre de résoudre deux autres questions fondamentales.
La première concerne l’un des effets préjudiciables de la jurisprudence Biso. En effet, pour apprécier la différence de traitement qui résulte de cette jurisprudence entre résidents monégasques ressortissants d’États membres de la Communauté, nous nous sommes placés dans l’hypothèse de deux ressortissants communautaires, dont l’un pourrait invoquer le bénéfice d’une « bonne clause de non-discrimination (13)» et ainsi éviter d’être imposé en France à raison de l’article 164 C du CGI, au contraire de son homologue.
Mais les incidences particulières de la jurisprudence Biso, instaurent également une discrimination particulière entre les couples mariés qui résident sur le territoire monégasque. En effet, en présence d’un couple marié binational, dont l’un des époux est fondé à se prévaloir d’une clause de non-discrimination en vertu de la convention qui lui est applicable, au contraire de l’autre, le Conseil d’État considère que c’est l’ensemble du foyer fiscal qui est passible de l’imposition forfaitaire prévue par l’article 164 C. Telle était ainsi le cas des époux Biso en ce qui concerne l’année 1991 (14).
La discrimination identifiée au détriment de certains résidents monégasques ressortissants de la Communauté, pris « isolément », se répercute selon une logique identique sur l’imposition des couples mariés.
Quatre hypothèses peuvent se présenter :
Si le couple marié, résidant à Monaco tout en ayant la disposition d’une ou plusieurs habitations en France, est constitué de deux conjoints de la même nationalité, et que ces derniers sont fondés, conformément à la jurisprudence Biso, à se prévaloir de la clause de non-discrimination contenue dans la convention qui leur est applicable : le couple ne sera pas soumis à l’imposition de l’article 164 C.Il en sera de même si les conjoints, bien que de nationalités différentes, bénéficient chacun dans la convention qui leur est applicable, d’une « bonne clause ».
En revanche, si les conjoints sont de nationalités différentes, et que l’un deux ne bénéficie pas, dans la convention qui lui est applicable, d’une « bonne clause », la solution la moins favorable sera appliquée au foyer fiscal, si bien que les deux époux seront soumis à l’imposition de l’article 164 C.La même solution s’appliquera à un couple marié dont les deux conjoints ont la même nationalité, mais qui ne peuvent invoquer le bénéfice d’une « bonne clause » compte tenu de la convention qui leur est applicable.
L’application du principe communautaire de non-discrimination et l’extension du bénéfice de conventions fiscales conclues entre État membres, à l’ensemble des ressortissants communautaires placés sur le territoire de l’un des États signataires (15) dans la même situation que les ressortissants de ces États pouvant bénéficier de ces conventions, permettraient ainsi de remédier aux différences de traitement qu’implique également la jurisprudence Biso, entre les couples mariés résidant à Monaco, sous réserve que ces couples soient constitués de ressortissants communautaires (16).
Enfin, que le traitement différencié entre ressortissants communautaires concerne des couples, ou des résidents monégasques pris isolément, dans tous les cas, il proviendra de la soumission de ressortissants communautaires à des conventions distinctes.
En effet, compte tenu de l’étendue du réseau conventionnel français, et du nombre de conventions fiscales conclues par la France, s’agissant de ressortissants communautaires, ce traitement différencié ne pourra provenir de ce que certains de ces ressortissants bénéficient d’une convention conclue entre la France et leur État de nationalité, tandis que d’autres ne pourront invoquer aucune convention.
Le traitement différencié proviendra de ce que certaines conventions permettent l’application de la clause de non-discrimination qu’elles contiennent aux ressortissants des États membres signataires résidents d’État tiers, tandis que d’autres conventions ne pourront s’appliquer aux ressortissants des États signataires, dès lors qu’ils résident dans un État tiers.
La première catégorie de conventions comporte indéniablement des dispositions plus favorables pour ses bénéficiaires, que celles qui sont réservées aux bénéficiaires de la seconde catégorie.
La solution, permettant à un résident monégasque ressortissant de la Communauté, bénéficiant d’une convention de la seconde catégorie, de ne pas être soumis à l’article 164 C du CGI, en invoquant le bénéfice d’une autre convention, en vertu de laquelle un autre ressortissant communautaire, placé dans la même situation, échappe à cette imposition, répondrait à la question laissée en suspens par la Cour de Justice quant à l’effet du principe communautaire de non-discrimination qui, dans le cadre de l’application des conventions fiscales bilatérales conclues entre États membres, pourrait être identique à celui d’une clause dite de la « nation la plus favorisée (17)» .
Si le principe communautaire de non-discrimination peut s’appliquer, à notre sens, à des ressortissants communautaires qui résident sur le territoire d’un État tiers, sous réserve que la situation juridique en cause soit localisée sur le territoire communautaire, ce principe ne s’applique que dans le cadre de matières régies par le droit communautaire (18).
Après avoir ainsi caractérisé la discrimination entre ressortissants communautaires résultant de la jurisprudence Biso, il nous semble que les libertés économiques fondamentales du traité de Rome constituent un terrain privilégié, afin d’identifier dans cette discrimination une entrave à l’exercice de ces libertés sur le territoire communautaire, compte tenu du traitement fiscal différent qui peut être appliqué aux ressortissants communautaires résidant sur le territoire monégasque à raison de la disposition d’une ou plusieurs habitations en France.
L’ENTRAVE POTENTIELLE AUX LIBERTES FONDAMENTALES
DU TRAITE DE ROME RESULTANT DE LA JURISPRUDENCE BISO
Â
Les critères territoriaux d’application du principe communautaire de non-discrimination ont été dégagés par la Cour de Justice dans l’affaire Walrave (19). La Cour de Justice, dans le cadre d’une espèce relative à la mise en œuvre du principe de libre circulation des travailleurs, dit pour droit que : « le principe de non-discrimination, tel qu’il est exprimé, entre autres, dans l’article 48 du traité et dans le règlement 1612/68 (…) s’impose pour une appréciation de tous rapports juridiques, dans toute la mesure où ces rapports juridiques, en raison soit du lieu où ils sont établis soit du lieu où ils produisent leurs effets, peuvent être localisés sur le territoire de la Communauté ».
La détermination de l’application du principe communautaire de non-discrimination à une situation juridique déterminée dépendra, en conséquence, de la localisation de cette situation ou de ses effets sur le territoire communautaire.
Cette précision apportée par la Cour de Justice en matière de libre circulation des travailleurs, mais dont le domaine n’est pas limité à cette matière dès lors que le principe communautaire de non-discrimination a vocation à s’appliquer à l’ensemble des matières régies par le traité (20); nous permet de relever que ce principe est parfaitement applicable aux ressortissants communautaires résidents d’États tiers, dès lors que la situation juridique est localisée, ou produit ses effets, sur le territoire d’un État membre.
Ainsi, les développements qui vont suivre tenteront de déterminer dans quelle mesure la situation de ressortissants communautaires résidant sur le territoire monégasque, et disposant d’une ou plusieurs habitations en France, nous permet de caractériser un lien de rattachement suffisant sur le territoire communautaire, permettant d’identifier à ce titre l’exercice d’une liberté garantie par le traité, et d’invoquer dans ce cadre le principe communautaire de non-discrimination afin de neutraliser les effets pour les ressortissants communautaires, de la jurisprudence Biso.
Trois libertés fondamentales ont retenu à ce titre notre attention :
La libre circulation des travailleurs.Le principe de libre circulation des capitaux, et le principe de liberté d’établissement, dont une application récente par la Cour de Justice laisse présumer que cette dernière liberté n’est pas cantonnée à une stricte définition économique.
LE PRINCIPE DE LIBRE CIRCULATION DES TRAVAILLEURS
Dans notre hypothèse, le résident monégasque ressortissant d’un État membre de la Communauté exerce une activité salariée sur le territoire de la Principauté (21). Dès lors qu’il dispose d’une ou plusieurs habitations en France, et que la clause de non-discrimination contenue dans la convention fiscale conclue par la France avec son État de nationalité n’est pas applicable aux ressortissants des États membres signataires résidents d’un État tiers, il sera imposé à raison de l’article 164 C du CGI (cas d’un ressortissant Portugais par exemple).
Ce résident monégasque se trouvera, du seul fait de sa nationalité, dans une situation moins favorable que celle des autres résidents monégasques ressortissants de la Communauté, exerçant une activité salariée sur le territoire de la Principauté, qui ne seront pas imposés au titre de l’article 164 C du CGI à raison de la disposition d’une ou plusieurs habitations en France, dès lors que la clause de non discrimination contenue dans la convention fiscale qui leur est applicable prévoit son application aux ressortissants des États signataires résidents d’États tiers (cas d’un ressortissant italien).
Les ressortissants communautaires, résidant à Monaco, qui exercent une activité salariée sur le territoire de la Principauté, par application des conventions fiscales conclues par la France, se voient ainsi imposés différemment au titre de l’article 164 C du CGI dans la mesure où certains seront exonérés de cette imposition et d’autres non.
La discrimination ainsi caractérisée est-elle susceptible de tomber sous le joug des exigences inhérentes à la mise en oeuvre du principe communautaire de libre circulation des travailleurs ? Nous savons en effet que la Cour de Justice censure, au titre du principe de libre circulation des travailleurs, les discriminations fiscales en matière d’impôt sur le revenu, qui peuvent affecter les travailleurs communautaires (22).
Cependant, à ce stade de l’analyse, un premier argument d’ordre territorial semble tout de même faire obstacle à la « justiciabilité communautaire » de la situation. Si la différence de traitement fiscal qui découle de l’appréhension distincte de la situation, pourtant identique, de ressortissants communautaires exerçant une activité salariée et résidant sur le territoire monégasque selon la convention applicable, est ici localisée sur le territoire d’un État membre au titre de la disposition d’une ou plusieurs habitations sur le territoire de cet État (la France) ; l’activité salariée est, dans notre hypothèse, localisée sur le territoire d’un État tiers (Monaco).
Le principe de libre circulation des travailleurs permet-il, en d’autres termes, de combattre le traitement fiscal discriminatoire appliqué sur le territoire d’un État membre entre ressortissants communautaires exerçant leur activité sur le territoire d’un État tiers ?
Si la discrimination en matière d’impôt sur le revenu qui résulte de la soumission de certains ressortissants communautaires à l’article 164 C du CGI, tandis que d’autres pourront échapper à cette imposition, est indéniable, la localisation de l’exercice du principe communautaire de libre circulation des travailleurs peut sembler plus problématique.
En effet, si le principe communautaire de non-discrimination peut s’appliquer aux ressortissants communautaires résidents d’États tiers, encore faut-il que l’exercice de la liberté au titre de laquelle ce principe est invoqué, entre effectivement dans le champ d’application territorial du droit communautaire, ce qui implique, comme nous le savons, que son exercice soit localisé sur le territoire d’un État membre, ou qu’un lien suffisant soit établi à ce titre au regard des effets produits par cette situation.
Dans un arrêt du 12 juillet 1984 (23), la Cour de Justice a déjà eu l’occasion de statuer sur l’application du principe de libre circulation des travailleurs, et de l’obligation de traitement national qu’implique ce principe au cas d’un ressortissant communautaire exerçant une activité salariée dans un États tiers.
Cette affaire concernait le cas d’un ressortissant belge résidant sur le territoire français, employé par une société française de travail temporaire, et détaché dans un pays tiers (le Nigéria) dans le cadre de son contrat de travail. L’objet du litige résidait dans l’article 341-3 du Code du travail alors applicable, qui disposait : « il est interdit à une entreprise de travail temporaire de mettre à la disposition de quelque personne que ce soit, des travailleurs étrangers, si la prestation de services doit s’effectuer en dehors du territoire français ».
Sur le fondement de cette disposition, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Paris avait refusé de maintenir le ressortissant belge au bénéfice du régime général de sécurité sociale français durant cette mission. Selon l’interprétation donnée par cet organisme de l’article litigieux du Code du travail, celui-ci s’appliquait aux ressortissants communautaires, à moins que le détachement ne soit effectué dans un État membre.
La question posée concernait ainsi l’application du principe communautaire de non-discrimination dans le cadre spécifique de la libre circulation des travailleurs, au cas d’un ressortissant communautaire ayant exercé cette liberté dans un État tiers.
La Cour de Justice reprend l’analyse qu’elle avait déjà opérée dans l’affaire Walrave, en estimant que la règle de non-discrimination, exprimée notamment dans le principe communautaire de libre circulation des travailleurs « s’impose pour une appréciation de tous rapports juridiques, dans toute la mesure où ces rapports juridiques, en raison soit du lieu où ils sont établis soit du lieu où ils produisent leurs effets, peuvent être localisés sur le territoire de la Communauté ».
Ainsi, dans l’hypothèse d’un ressortissant communautaire exerçant une activité salariée dans un État tiers, le critère justifiant l’application à cette situation du principe communautaire de non-discrimination, consistera dans l’identification d’un rattachement suffisamment étroit avec le territoire de la Communauté, soit au titre de la localisation des rapports juridiques nés de cette activité, soit au titre de la localisation des effets de ces rapports.
En l’espèce, le rattachement au territoire de la Communauté, fondant la justiciabilité de la situation au regard du principe communautaire de non-discrimination, a été identifié dans les circonstances suivantes :
Le travailleur communautaire avait été engagé par une entreprise d’un autre État membre.Il avait été affilié au régime général de sécurité société sociale de cet État.
Enfin, même durant son détachement, il exerçait toujours son activité pour le compte de cette entreprise.
On peut résumer ces critères en relevant que, malgré l’exercice de l’activité dans un État tiers, les relations de travail, et les conséquences sociales de cette relation, étaient localisées sur le territoire communautaire, ce d’autant plus que, s’agissant d’un détachement, l’activité exercée dans un État tiers était forcément temporaire.
Le travailleur belge résidant en France, employé par une société française, et détaché temporairement dans un État tiers, avait ainsi droit, sur le fondement du principe de libre circulation des travailleurs et du traitement national inhérent à l’exercice de cette liberté, au maintien de son affiliation au régime général de sécurité sociale dans les mêmes conditions qu’un travailleur français placé dans la même situation.
Cette jurisprudence peut-elle être invoquée pour combattre la différence de traitement dont peuvent être l’objet les ressortissants communautaires employés sur le territoire de la Principauté et y résidant, à raison de la disposition d’une ou plusieurs habitations en France ?
L’identification d’un rattachement suffisamment étroit avec le territoire communautaire semble ici plus difficile.
L’activité salariée exercée sur le territoire d’un État tiers, ne l’est pas ici à titre temporaire, contrairement à l’affaire précitée. Les revenus tirés de cette activité ne sont pas imposés sur le territoire de la Communauté. L’imposition au titre de l’article 164 C du CGI ne concerne que des revenus fictifs évalués en fonction de la valeur locative de l’habitation mise à disposition en France, mais non à proprement parler les revenus tirés de cette activité, si bien qu’il semble difficile de considérer que les conséquences fiscales de l’activité en cause puissent être localisées sur le territoire de la Communauté.
Le lien avec le territoire communautaire semble d’autant plus difficile à établir que, contrairement à l’espèce précitée, les intéressés auront leur résidence dans un État tiers de manière permanente. L’affaire précédemment évoquée concernait en effet un travailleur détaché.
Enfin, la relation de travail sera localisée dans un État tiers. Tout au plus pourrait-on envisager le cas où les résidents monégasques ressortissants de la Communauté seraient employés par l’établissement stable monégasque, d’une société implantée dans autre État membre.
Mais, là encore, la seule différence de traitement fiscal, à raison de la détention en France d’une habitation, ne nous semble pas constituer un rattachement suffisant au territoire communautaire, susceptible de justifier l’application du principe communautaire de non-discrimination dans le cadre de la libre circulation des travailleurs, dès lors que cette activité est exercée dans un État tiers, et que ses effets, notamment fiscaux, ne sont pas véritablement localisés sur le territoire communautaire.
En outre, une solution fondée sur le principe de libre circulation des travailleurs serait limitée aux seuls résidents monégasques, exerçant une activité salariée, ce qui ne nous semble pas une solution satisfaisante.
Mais l’identification d’un rattachement suffisant avec le territoire communautaire nous semble plus aisément caractérisée, dans le cadre d’autres libertés garanties par le traité, à propos desquelles la simple disposition d’un immeuble en France pourrait suffire à constituer ce rattachement. Il s’agit des principes de libre circulation des capitaux et de liberté d’établissement.
LES PRINCIPES DE LIBRE CIRCULATION DES CAPITAUX ET DE LIBERTE D’ETABLISSEMENT
Dans le cadre de la libre circulation des capitaux, l’énumération donnée par le droit dérivé, des opérations considérées comme des mouvements de capitaux, nous permet de relever que la détention d’un immeuble en France, ou de l’usufruit de celui-ci, entre dans le champ d’application de cette liberté, de sorte que la différence de traitement entre ressortissants communautaires résidant à Monaco, et détenant une ou plusieurs habitations en France ou l’usufruit de celles-ci, pourrait constituer une violation du principe communautaire de non-discrimination constitutif d’une entrave à l’exercice de cette liberté (24).
Dans le cadre du principe de liberté d’établissement, l’évolution perceptible de la jurisprudence de la Cour de Justice vers une conception non exclusivement économique de cette liberté, permettrait d’y distinguer une « liberté d’installation », dont l’hypothèse qui occupe les développements de la présente étude pourrait être justiciable (2).
Le principe de libre circulation des capitaux
Contrairement aux principes de libre circulation des travailleurs et de liberté d’établissement, l’exercice de la libre circulation des capitaux n’est pas défini par le droit originaire. C’est donc vers le droit dérivé qu’il est nécessaire de se tourner, afin d’y trouver une définition communautaire de la notion de « mouvements de capitaux ». Ainsi, les restrictions aux mouvements de capitaux, interdites tant par l’article 73 B du traité que par l’article premier de la directive n°88/361 CEE du Conseil du 24 juin 1988, concernent notamment (25) les opérations visées en annexe de la directive, la nomenclature qui y figure à ce titre étant considérée tout à fait pertinente par la Cour de Justice (26).
Il ressort, aux termes du point II sous A de cette annexe, que constituent des mouvements de capitaux :
« Les investissements immobiliers effectués sur le territoire national par des non-résidents ».
À ce propos, les notes explicatives figurant dans la directive définissent les investissements immobiliers comme :
« les achats de propriétés bâties et non bâties par des personnes privées à des fins lucratives ou personnelles. Cette catégorie comprend également les droits d’usufruit, les servitudes foncières et les droits de superficie ».
La définition du principe de libre circulation des capitaux vise ainsi expressément les investissements immobiliers effectués par des non-résidents, y compris à des fins personnelles (27). L’acquisition d’une habitation en France, ou de l’usufruit de celle-ci, constitue ainsi l’exercice d’une liberté garantie par le traité. Contrairement à l’hypothèse du principe de libre circulation des travailleurs, le rattachement au territoire communautaire ne pose ici aucune difficulté.
En outre, dès lors les non-résidents visés par le texte sont des ressortissants communautaires, la circonstance qu’ils résident dans un État tiers ne fait pas obstacle, comme nous le savons, à l’invocation du principe communautaire de non-discrimination, dès lors que les rapports juridiques (acquisition d’un immeuble) en cause, ainsi que leurs effets (traitement fiscal attaché à la détention de cet immeuble) sont localisés sur le territoire de la Communauté, et entrent de surcroît dans le champ d’application d’une liberté garantie par le traité.
Cette définition de la libre circulation des capitaux nous semble parfaitement applicable à l’hypothèse de ressortissants communautaires résidant sur le territoire monégasque, propriétaires d’une habitation en France. La soumission ou non de ces ressortissants communautaires à l’imposition de l’article 164 C du CGI, selon qu’ils sont ou non fondés à invoquer le bénéfice de la clause de non-discrimination dans la convention qui leur est applicable, est la source d’une discrimination potentielle entre ces ressortissants à raison de la nationalité, susceptible d’instituer une entrave à l’exercice de la libre circulation des capitaux.
L’entrave résulterait ainsi dans l’effet dissuasif de ce traitement discriminatoire, qui inciterait les résidents monégasques ressortissants d’un État membre à renoncer à la détention d’un immeuble en France afin de ne pas subir l’imposition de l’article 164 C du CGI, dès lors qu’ils ne sont pas fondés à invoquer utilement le bénéfice d’une convention, dans les mêmes conditions que d’autres ressortissants communautaires fondés, quant à eux, à invoquer une « bonne clause ». La preuve en est que, les époux Biso, suite à l’arrêt du Conseil d’État, ont mis à la vente leur propriété.
La nouvelle convention franco-britannique, signée le 28 janvier 2004, compte tenu du nouveau libellé de la clause de non discrimination qu’elle contient, ne permet pas, en effet, l’application de celle-ci aux ressortissants des États signataires, résidents d’États tiers.
Nous ajouterons, en dernier lieu, que la circonstance que l’habitation en France soit détenue de manière directe ou indirecte ne nous semble pas changer la problématique : parmi les investissements immobiliers visés par la directive, figurent simplement les « achats de propriétés effectués par des personnes privées à des fins personnelles ou lucratives », mais aucune distinction n’est effectuée selon que l’acquisition est effectuée sous couvert d’une société, et notamment d’une SCI. On peut notamment penser à l’acquisition d’une habitation en France par l’interposition d’une SCI monégasque.
C’est pourquoi les principes qui viennent d’être exposés nous semblent parfaitement applicables lorsque la détention de l’usufruit, ou de la pleine propriété de l’habitation, résulte de la détention de parts de SCI. La directive définit simplement les investissements immobiliers considérés comme des mouvements de capitaux : achats de propriété bâties et non bâties par des personnes privées à des fins lucratives ou personnelles, droits d’usufruit, les servitudes foncières et les droits de superficie, mais ne distingue pas selon les modalités d’acquisition.
Nous ajouterons seulement que l’acquisition d’un immeuble ou d’un droit portant sur celui-ci, par l’interposition d’une SCI, pourrait également relever du principe de liberté d’établissement.
Ainsi appliqué, le principe de libre circulation des capitaux devrait permettre de régler la situation de l’ensemble des ressortissants communautaires résidant à Monaco, détenant en France la pleine propriété d’un immeuble, ou l’usufruit de celui-ci, directement ou par l’interposition d’une SCI française ou monégasque, qui ne peuvent utilement invoquer le bénéfice d’une convention fiscale, ce qui semble viser la grande majorité des résidents monégasques, ne pouvant invoquer une « bonne clause ».
Mais, comme nous le savons, l’article 164 C vise la « disposition d’une habitation » et non simplement la détention d’une habitation. Ainsi, le principe de libre circulation des capitaux ne sera d’aucune utilité aux ressortissants communautaires résidant à Monaco, qui se contentent de louer une habitation en France. La neutralisation de l’article 164 C dans cette hypothèse pourrait être envisagée sur le fondement du principe de liberté d’établissement.
Le principe de liberté d’établissement
L’examen de l’applicabilité du principe de liberté d’établissement aux ressortissants communautaires résidant à Monaco, et disposant d’une habitation France, peut sembler curieux de prime abord. En effet, si la question de l’application du principe communautaire de non-discrimination aux ressortissants communautaires résidents d’États tiers nous semble résolue, selon que la disposition en France d’une habitation permet de caractériser l’exercice de l’une des liberté garanties par le traité, la caractérisation de l’exercice de l’une de ces libertés en la présence du principe de liberté d’établissement peut ici sembler délicate, compte tenu de la définition classique qui en est donnée par la Cour de Justice.
En effet, définie à l’article 43 (ex-52), « disposition fondamentale du traité », directement applicable depuis la fin de la période transitoire (28), la liberté d’établissement emporte pour les ressortissants d’un État membre, sur le territoire d’un autre État membre : « l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants. La suppression des restrictions à la liberté d’établissement s’entend aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales par les ressortissants d’un État membre établis sur le territoire d’un autre État membre (29)» .
La disposition, en France, d’une résidence secondaire par un ressortissant communautaire résidant à Monaco semble difficilement entrer dans le champ d’application de cette définition, dont le caractère économique est indéniable.
Pourtant, la position récemment exprimée par la Cour de Justice dans l’affaire Hughes de Lasterie du Saillant contre Ministère de l’Economie des Finances et de l’Industrie (30), laisse planer un certain doute quant à une conception purement économique de la liberté d’établissement.
Nous savons, dans cette affaire, que la Cour de Justice a conclu à l’incompatibilité avec le principe de liberté d’établissement, de l’article 167 bis du CGI, qui permet à l’Administration fiscale d’imposer les plus-values latentes constatées sur des participations substantielles, lorsque le contribuable concerné transfert son domicile hors de France.
La Cour de Justice se prononce ainsi sur la compatibilité d’une taxe « à la sortie », applicable aux contribuables français transférant leur domicile à l’étranger, et particulièrement dans un autre État membre.
Le cas soumis à la Cour de Justice dans cette espèce concernait un contribuable français, parti s’installer en Belgique.
Dans cette affaire, de nombreux États membres dont la législation fiscale comporte des mécanismes semblables à celui de l’article 167 bis du CGI ont transmis leurs observations à la Cour, afin de démontrer que l’économie du dispositif en cause n’était pas de nature à compromettre la liberté d’établissement reconnue aux ressortissants communautaires.
En particulier, les gouvernements allemand et néerlandais considéraient que l’ordonnance de renvoi ne contenait pas « les éléments propres à établir » que le requérant « aurait fait usage de la liberté d’établissement garantie par l’article 52 du traité, ni, dès lors, qu’il relèverait du champ d’application de cette disposition ».
Le requérant avait simplement précisé dans ses observations qu’il avait transféré son domicile fiscal en Belgique, afin d’y exercer son activité professionnelle, sans apporter d’autre précision.
Sur ce point, lors de l’examen de l’applicabilité de l’article 52, au cas d’espèce, la Cour de Justice s’est contentée de rappeler que, dans le cadre de la procédure de renvoi préjudiciel, et de la stricte séparation des fonctions instaurées par cette procédure « toute appréciation des faits relève de la compétence du juge national ». À ce titre la Cour relève que : « la juridiction de renvoi paraît avoir conclu à l’applicabilité de l’article 52 du traité au litige qui lui est soumis ».
La démarche de la Cour de Justice laisse ainsi planer un certain doute, puisque face à l’imprécision des motivations qui ont justifié le transfert de domicile du requérant, le juge communautaire ne prend pas le soin de préciser la portée du principe de liberté d’établissement à propos d’un établissement exercé à titre purement personnel, ce qui pouvait sembler être le cas, et non véritablement dans le cadre d’une activité économique.
Certes la qualification des faits relève de la juridiction de renvoi mais, face au doute suscité par l’imprécision de la situation du requérant, on aurait pu penser que la Cour de Justice prenne le soin d’apporter une précision sur l’inapplicabilité ou l’applicabilité du principe de liberté d’établissement, à un établissement purement personnel, c’est-à -dire non strictement lié à l’exercice d’une activité professionnelle. Tel était l’esprit des observations soulevées par les gouvernements allemands et néerlandais.
L’analyse de la Cour de Justice se trouve ainsi concentrée sur l’examen des entraves au transfert de domicile vers un autre état membre, résultant de la législation litigieuse.
La Cour de Justice relève ainsi, au point 42 de l’arrêt, que la liberté d’établissement vise à assurer le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil, et s’oppose à ce que l’État d’origine entrave l’établissement de ses propres ressortissants dans un autre État membre.
Elle ajoute ensuite, aux points 43 et 44, que l’interdiction des restrictions à la liberté d’établissement s’entend même des restrictions de faible portée, l’interdiction s’appliquant notamment aux dispositions fiscales.
La Cour de Justice retient ainsi que l’article 167 bis du CGI comporte un effet dissuasif au titre de la liberté d’établissement à l’égard des contribuables qui « souhaitent s’installer dans un autre État membre ».
La Cour censure une entrave fiscale à l’exercice de la liberté d’établissement, dans le cas d’un transfert de domicile, sans véritablement caractériser en l’espèce, l’exercice de cette liberté, du moins dans son acception économique.
La précision est loin d’être anecdotique, et on pourrait y voir une extension du principe de liberté d’établissement vers un liberté d’installation, à titre personnel, et non dans un cadre strictement économique.
Dès lors, les restrictions fiscales à l’exercice d’une telle liberté tomberaient sous le coup du principe communautaire de non-discrimination appliqué dans le cadre spécifique de cette liberté : ce qui permettrait à l’établissement à titre personnel d’entrer dans le champ d’application des jurisprudences ayant dégagé toute la portée fiscale du principe de liberté d’établissement, notamment en ce qui concerne l’articulation de cette liberté avec les conventions fiscales conclues entre États membres.
L’exemple de la discrimination entre les résidents monégasques ressortissants de la Communauté résidant à Monaco, résultant de la jurisprudence Biso, nous semble justiciable d’un tel principe : le traitement différencié entre ces résidents en raison de la disposition d’une ou plusieurs habitations en France (31) selon les conventions applicables, constituerait une entrave à une installation secondaire effectuée à titre personnel sur le territoire français, par ces résidents. Les résidents monégasques qui ne peuvent être exonérés de l’imposition prévue par l’article 164 C du CGI pourraient, conformément aux jurisprudences St Gobain Zn et XAB et Y AB, invoquer le bénéfice de conventions fiscales qui permettent à d’autres ressortissants communautaires placés dans la même situation de ne pas subir cette imposition.
La brèche ainsi ouverte par la Cour de Justice, compte tenu de la solution illustrée à propos de l’article 167 bis du CGI, nous semble permettre un tel raisonnement.
CONCLUSION
La situation des ressortissants communautaires résidant à Monaco, soumis à l’article 164 C du CGI à raison de la disposition d’une ou plusieurs habitations en France, qui ne peuvent bénéficier des effets d’une convention fiscale, pourrait ainsi trouver grâce sur le terrain du principe communautaire de non-discrimination en empruntant la voie, soit de la libre circulation des capitaux, soit de la liberté d’établissement laissée entrouverte par la Cour de Justice.
Mais la vocation unificatrice d’une solution fondée sur le principe communautaire de non-discrimination, si elle était vérifiée, trouverait également ses limites. En effet, elle ne mettrait pas fin à la discrimination dont sont potentiellement victimes les résidents étrangers de Monaco qui ne sont pas des ressortissants communautaires, et qui ne peuvent invoquer le bénéfice d’une « bonne clause ». Là encore, paradoxalement, la résolution d’une discrimination entre résidents monégasques ressortissants de la Communauté instaurerait une nouvelle discrimination entre ces ressortissants, et les autres résidents étrangers de Monaco, qui ne peuvent invoquer utilement les dispositions d’une convention fiscale. Mais, pour ces derniers, la discrimination ainsi constatée ne pourrait être neutralisée que par une application autonome des clauses de non-discrimination contenues dans les conventions, ce à quoi la jurisprudence Biso se refuse.
(1) Afin de mettre fin à une discrimination caractérisée par le Conseil d’État entre français et résidents étrangers de Monaco.
(2) Cf. notre article dans la Revue : «Fiscalité Européenne-Droit International des Affaires », n°136, p. 3 et s.
(3) Les résidents monégasques recouvrent trois catégories de contribuables :
• Les résidents de nationalité monégasque ;
• Les résidents « étrangers », c’est-à -dire de nationalité autre que française ou monégasque, qui entrent dans le champ d’application de l’article 164 C du CGI, à raison de la disposition d’une ou plusieurs habitations en France ;
• Les résidents monégasques de nationalité française, parmi lesquels il faut distinguer entre les français « privilégiés », qui peuvent justifier d’au moins cinq ans de résidence habituelle sur le territoire monégasque à la date du 13 octobre 1962, et les français « non-privilégiés », c’est-à -dire ceux qui ne peuvent justifier de leur résidence sur le territoire de la Principauté dans les mêmes conditions.
En vertu de l’article 7-1 de la convention franco-monégasque, les français non-privilégiés, au contraire des français privilégiés, sont fiscalement domiciliés en France, de sorte qu’y étant soumis à une obligation fiscale illimitée ils ne supportent pas l’imposition de l’article 164 C du CGI, applicable aux non-résidents au titre de la disposition d’une ou plusieurs habitations en France. Les français privilégiés sont, au contraire, fiscalement domiciliés sur le territoire Monégasque de sorte qu’ils entrent dans le champ d’application de l’article 164 C du CGI, à raison de la disposition d’une ou plusieurs habitations en France. Nous noterons que les français privilégiés et les résidents de la Principauté de nationalité monégasque échappent, en vertu de la réponse ministérielle Ehrmann, dont l’illégalité ne fait aucun doute, à l’imposition de l’article 164 C dans la limite d’une habitation dans la région PACA.
Mais la discrimination invoquée dans l’affaire Biso ne concernait que l’appréciation de la comparabilité des situations entre résidents étrangers de Monaco et français non-privilégiés, dans la mesure où les requérants étaient installés à Monaco depuis 1982. L’appréciation de la situation de résidents monégasques dans des termes comparables portait donc l’analyse sur la situation de français non-privilégiés compte tenu de la date d’installation sur le territoire monégasque à prendre en compte.
Or, les français non-privilégiés étant imposés en France à raison de leurs revenus mondiaux, ils ne sont pas soumis à l’article 164 C du CGI. Les requérants y voyaient une discrimination contraire aux conventions fiscales dont ils invoquaient le bénéfice. Il s’agissait là pour eux du seul moyen d’obtenir la décharge de l’imposition, puisque la possibilité prévue par l’article 164 C du CGI, d’échapper à l’imposition forfaitaire à raison de la disposition d’une ou plusieurs habitations en France, en justifiant pour les non-résidents d’être soumis dans leur État de résidence à un impôt général sur le revenu au moins égal au deux tiers de l’impôt français qui serait applicable sur la même base, ne pourra être utilisée par les résidents monégasques.
(4) C’est-à -dire installés à Monaco depuis 1982. L’élément pertinent de comparaison est donc constitué par la situation de français non-privilégiés, voir note précédente.
(5) Excepté le cas des français dits « privilégiés ».
(6) La Haute juridiction considère ainsi que si la clause de non-discrimination incluse dans les conventions franco-italienne et franco-britannique ne s’oppose pas, en principe, à ce qu’un non-résident de l’un des États signataires soit imposé différemment, autrement, ou plus lourdement qu’un résident de cet État, c’est à condition toutefois que cette distinction repose sur une différence objective de situation et ne résulte pas exclusivement de la nationalité des intéressés.
Le Conseil d’État relève ainsi qu’en l’espèce « ce n’est qu’en raison de la nationalité que le domicile fiscal des intéressés diffère de celui des français résidant à Monaco et disposant d’une ou plusieurs habitations en France ; dans ces conditions, la différence de situation qu’invoque le Ministre, dans laquelle se trouvent les intéressés au regard des règles relatives au domicile fiscal, ne saurait, sans que soit méconnus les articles 25 des conventions franco-italienne et franco-britannique (…) justifier qu’il soient soumis à une imposition autre, différente ou plus lourde de celle à laquelle sont assujettis les ressortissants français qui, comme eux, résident à Monaco et disposent d’une ou plusieurs habitations en France ».
(7) Dans la plupart des cas, les résidents monégasques n’ont pas de revenus de source française. En outre, nous relèverons que le régime fiscal auquel ils sont soumis sur le territoire de la Principauté ne leur permet pas d’échapper à l’application de l’article 164 C en justifiant d’être soumis à un impôt sur le revenu au moins égal aux deux tiers de l’impôts français qu’ils supporteraient sur une même base imposable, s’ils résidaient en France.
(8) La Cour de Justice dans l’affaire Schumacker (CJCE, 14 février 1995, M. Schumacker C-279/93, Rec. p. I-00225) a reconnu la compatibilité avec le droit communautaire d’une différence de traitement fondée sur la résidence en ce qui concerne l’imposition des revenus des personnes physiques. Or les français installés à Monaco étant traités fiscalement en France comme des résidents, il serait difficile de considérer qu’ils se trouvent dans une situation comparable à celle des résidents étrangers de Monaco, véritables non-résidents quant à eux, afin d’apprécier l’application d’une imposition dont le critère essentiel de mise en œuvre est constitué par l’obligation fiscale limitée des personnes qu’elle vise.
(9) Dans ses conclusions sous l’affaire Benmiloud (CE 30 décembre 1996, n°128 611, RJF 2/97, n°158, Cl. P. 74) le Commissaire du gouvernement Gilles Bachelier avait pu recenser à ce titre, cinq types de conventions fiscales selon leur rédaction :
• Celles qui ne comportent pas de clause de non-discrimination ;
• Celle qui subordonnent le bénéfice d’une telle clause à une condition de résidence ;
• Celles qui précisent que la clause de non-discrimination qu’elles contiennent s’applique aux personnes qu’elles soient, ou non, résidentes d’un État tiers ;
• Celles dont le champ d’application n’est pas limité aux résidents des États signataires, et dont la clause de non-discrimination ne fait référence qu’au critère de la nationalité ;
• Celles dont le champ d’application est limité aux résidents et qui comportent une clause de même nature.
(10) L’exemple en est donné par la solution de l’affaire Biso, elle-même : M. Biso ayant été, au cours de deux périodes d’imposition distinctes, soumis ou non à l’imposition de l’article 164 C, en fonction de deux conventions distinctes, voir note suivante.
(11) Cf. notre article dans la Revue : «Fiscalité Européenne-Droit International des Affaires », n°136, p. 3 et s.
(12) CJCE, 18 novembre 1999, XAB et Y AB contre Riksskatteverket, C-200/98, Rec. p.I-08261, CJCE, 21 septembre 1999, Saint-Gobain ZN, C-307/9, et notre article dans la Revue : «Fiscalité Européenne-Droit International des Affaires », n°136, p. 3 et s.
(13) C’est-à -dire une clause de non-discrimination applicable aux ressortissants des États membres signataires, résidents d’États tiers.
(14) En effet, dans l’affaire Biso, si les requérants ont pu utilement invoquer le bénéfice des conventions s’agissant des années 1992 et suivantes, la solution retenue en ce qui concerne l’application de l’article 164 C du CGI pour l’année 1991 révèle les lacunes de cette jurisprudence. Pour les années 1992 et suivantes la clause de non-discrimination contenue dans chacune des conventions invoquées était applicable aux ressortissants des États signataires résidents d’États tiers, si bien que les deux conjoints pouvaient utilement invoquer le bénéfice d’une bonne clause. Cependant la convention franco-italienne invoquée par l’un des conjoints avait été modifiée en 1992. Or, si la rédaction qui en résultait permettait l’application de la clause de non-discrimination, contenue dans cette convention, aux ressortissants des États signataires résidents d’États tiers, tel n’était pas le cas de l’ancienne version de cette convention applicable en 1991. Si bien qu’au titre de cette année si Mme Biso pouvait utilement invoquer le bénéfice d’une « bonne » clause, tel n’était pas le cas de son mari. Dans une telle circonstance, le Conseil d’Etat a conclu à l’imposition du foyer fiscal constitué par les deux époux au titre de l’article 164 C du CGI.
(15) L’appréciation de l’identité des situations visées consistera en ce que les résidents monégasques en cause, soumis ou non à l’article 164 C du CGI en vertu de la convention fiscale qui leur est applicable, sont ressortissants de la Communauté, et disposent d’une ou plusieurs habitations en France, sans disposer de revenus de source française dont le montant serait supérieur à l’imposition forfaitaire prévue par l’article 164 C, car dans une telle hypothèse, la question de l’application de cette disposition ne se poserait pas.
(16) On pourrait également s’interroger sur l’application du principe communautaire de non-discrimination, au cas d’un couple binational, dont l’un des conjoints est ressortissant de la Communauté et l’autre, ressortissant d’un État tiers. Dès lors que les conjoints ne peuvent invoquer une « bonne clause » pour chacun d’eux, l’interrogation consisterait à déterminer si le ressortissant communautaire pourrait invoquer le principe communautaire de non-discrimination dès lors qu’un autre couple composé de deux ressortissants communautaires, pouvant invoquer le bénéfice de « bonnes clauses », ne serait pas soumis à l’article 164 C du CGI.
(17) CJCE, 8 mars 2001, Metallgesellschaft Ltd et autres (C-397/98), Hoechst AG et Hoechst (UK) Ltd (C-410/98) contre Commissioners of Inland Revenue et HM Attorney General, Rec. p. I-01727, et notre article dans la Revue : «Fiscalité Européenne-Droit International des Affaires », n°136, p. 15 et s.
(18) Le principe de non-discrimination à raison de la nationalité, formellement inscrit dans l’article 12 (ex-article 6) du traité instituant la Communauté européenne : « qui édicte un principe général d’interdiction de toute discrimination en raison de la nationalité, n’a vocation à s’appliquer de manière autonome que dans des situations régies par le droit communautaire pour lesquelles le traité ne prévoit pas de règle spécifique de non-discrimination » (CJCE, 30 mai 1989, Commission/Grèce, 305/87, Rec. p. 1461, points 12 et 13 ; CJCE, 12 avril 1994, Halliburton Services, C-1/93, Rec. p. I-1137, point 12; CJCE, 29 avril 1999, Royal Bank of Scotland, C-311/97, préc., point 20 ; CJCE, 13 avril 2000, Baars, C-251/98, préc., point 23 ; CJCE, 8 mars 2001, Metallgesellschaft Ltd et autres (C-397/98), Hoechst AG et Hoechst (UK) Ltd (C-410/98) contre Commissioners of Inland Revenue et HM Attorney General, préc., point 38. Selon la Cour de Justice, le principe général de non-discrimination à raison de la nationalité ainsi édicté à l’article 12 du traité a été mis en œuvre dans les matières particulières qu’ils régissent, par les articles 39, 43 et 48 du traité (voir notamment pour le principe de libre circulation des travailleurs CJCE, 2 février 1989, Cowan, 186/87, Rec. p. 195, point 14, et pour le principe de liberté d’établissement CJCE, 14 janvier 1988, Commission contre Italie, 63/86, Rec. p. 29, point 12 ; CJCE, 12 avril 1994, Halliburton Services BV contre Staatssecretaris van Financiën, C-1/93, préc., point 12 ; CJCE, 29 février 1996, Skanavi et Chryssanthakopoulos, C-193/94, Rec. p. I-929, point 21 ; CJCE, 13 avril 2000, Baars, C-251/98, préc., point 24 ; CJCE, 8 mars 2001, Metallgesellschaft Ltd et autres (C-397/98), Hoechst AG et Hoechst (UK) Ltd (C-410/98) contre Commissioners of Inland Revenue et HM Attorney General, préc., point 39). Le principe communautaire de non-discrimination ne trouvera ainsi vocation à s’appliquer, pour autant que la situation juridique en cause relève d’une matière régie par le traité, dès lors que cette situation ou ses effets sont localisés sur le territoire de la Communauté. La différence consistera simplement en ce que, selon la matière en cause, celle-ci prévoit ou non une règle spécifique de non-discrimination : dans la seconde hypothèse, la violation de l’article 12 pourra être invoquée de manière autonome.
(19) CJCE, 12 décembre 1974, Walrave, 36/74, Rec. p.1405.
(20) La Cour de Justice prend d’ailleurs le soin de préciser que les critères d’application ainsi dégagés du principe communautaire de non-discrimination concernent la mise en œuvre de ce principe tel qu’il est exprimé « entre autres » en matière de libre circulation des travailleurs, ce qui souligne que la position de la Cour n’est pas limitée à ce domaine.
(21) Si l’activité salariée était exercée sur le territoire français, les revenus de source française seraient certainement supérieurs au revenu forfaitaire prévu par l’article 164 C, et la question de l’application de cette imposition ne se poserait pas.
(22) CJCE, 8 mai 1990, Biehl, C-175/88, Rec. p. I-1779, point 12, et 14 février 1995, M. Schumacker, C-279/93, point 23.
(23) CJCE, 12 juillet 1984 SARL Prodest c/ CPAM de Paris, 237/83, Rec. p. 03153.
(24) Le principe communautaire de non-discrimination devrait, dans cette hypothèse, être invoqué sur le fondement de l’article 12 du traité, puisque les dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux ne comportent pas de mise en œuvre spécifique de ce principe.
(25) L’énumération est indicative, et non exhaustive.
(26) CJCE, 16 mars 1999, aff. C-222/97, Trummer Mayer, Rec. I, p.1671.
(27) La précision est importante, car dans la grande majorité des cas les résidents monégasques soumis à l’article 164 C du CGI le sont généralement suite à l’acquisition d’une résidence secondaire en France. Il s’agit ainsi, la plupart du temps, d’acquisitions effectuées à titre personnel.
(28) CJCE, 28 avril 1977, Thieffry, 71/76, Rec. p765.
(29) CJCE, 28 janvier 1986, Commission/France, 270/83, préc., point 13 ; CJCE, 29 avril 1999, Royal Bank of Scotland, C-311/97, préc., point 22 ; CJCE, 8 mars 2001, Metallgesellschaft Ltd et autres (C-397/98), Hoechst AG et Hoechst (UK) Ltd (C-410/98) contre Commissioners of Inland Revenue et HM Attorney General, préc., point 41.
(30) CJCE, 11 mars 2004, C-9/02, Rec. p. 00000.
(31) À quelque titre que ce soit, y compris à titre locatif. Contrairement au principe de libre circulation des capitaux, l’utilisation de la liberté d’établissement n’est pas limitée à la détention de l’immeuble en pleine propriété, ou de l’usufruit de celui-ci, puisque l’élément essentiel est l’établissement sur le territoire d’un État membre.
Christophe TRACANELLI
D.E.A. de droit communautaire
D.E.S.S. de fiscalité
Maîtrise de droit international et communautaire