Article publié dans la Revue « Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires » N° 137 (Année 2004)
Les Etats membres, il y a quelques années, ont réalisé qu’avec l’accélération de la mondialisation et l’intensification du marché unique, les relations entre les systèmes fiscaux avaient été fondamentalement modifiés.
Bon nombre de réformes ont répondu à la nécessité d’adapter les systèmes fiscaux par rapport aux états voisins. On a de ce fait assisté à une multiplication de régimes fiscaux préférentiels dans le monde et a fortiori dans les Etats membres de l’Union européenne.
Force est de constater, malgré tout, que si la concurrence fiscale peut être particulièrement saine lorsqu’elle vise à réduire les dépenses publiques excessives, elle peut produire des effets pervers, notamment :
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un alignement de la fiscalité du capital, vers le bas, qui débouche inexorablement sur un alourdissement de la charge fiscale sur le travail,
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des décisions d’investissement dont les seules motivations sont d’ordre fiscal, -
enfin des risques de tension entre les divers états, qui se diviseraient rapidement en deux clans: les pays qui profitent de cette fiscalité privilégiée pour attirer investisseur, épargne, capitaux… et ceux dont le régime fiscal ne séduit personne et qui seraient réduits à chercher d’autres sources de recettes budgétaires et à instaurer des réglementations anti-évasion complexes et très pénalisantes pour le contribuable.
Aussi les Etats membres ont-ils chargé la Commission européenne, de mener une réflexion sur le sujet.
Le Marché unique suppose la garantie et l’application des trois grandes libertés, que sont la libre circulation des marchandises, la libre circulation des personnes et la libre circulation des capitaux.
La Commission devait donc trouver une solution pour mettre en place des dispositifs juridiques qui respectent ces libertés, tout en obtenant que la concurrence fiscale dommageable entre Etats, soit canalisée et donc, entre autres, que la mobilité des personnes ne soit plus motivée uniquement par des raisons fiscales et que la libre circulation des capitaux n’aboutisse pas à une défiscalisation importante, notamment dans le domaine de l’épargne.
Ceci devait être réalisé, bien entendu, sans porter atteinte à la souveraineté des Etats membres qui dans le domaine de la fiscalité directe est totale.
C’est donc à partir de ces idées, principalement, qu’a été élaboré ce que l’on appelle « le Paquet fiscal ».
Ce paquet fiscal comporte trois mesures :
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la directive qui instaure l’imposition effective des intérêts sur les placements d’épargne transfrontaliers versés à des particuliers dans l’UE ;
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un code de conduite relatif à la fiscalité des entreprises visant à supprimer les mesures considérées comme trop avantageuses ;
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une autre directive qui vise à supprimer les retenues à la source pour les paiements d’intérêts et de redevances entre entreprises associées des différents Etats membres.
Les deux directives étaient, depuis une quinzaine d’années, dans les tiroirs de la Commission, mais les Etats n’avaient jamais réussi à se mettre d’accord.
Cette fois-ci, après les avoir largement remaniées et modifiées, les deux directives associées au code de conduite ont été adoptées en juin 2003 et sont donc censées permettre à l’Union Européenne de réaliser trois objectifs :
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réduire les distorsions fiscales qui persistent au sein du Marché unique,
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prévenir les pertes trop importantes de recettes fiscales,
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orienter les structures fiscales dans un sens plus favorable à l’emploi.
Voyons donc maintenant, concrètement, quels ont les objectifs de la directive sur la fiscalité de l’épargne et ses modalités d’application.
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PRÉSENTATION DE LA DIRECTIVE
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Les revenus de l’épargne sous forme de paiement d’intérêts de créances constituent des revenus imposables pour les résidents de tous les États membres.
En l’absence d’une coordination des régimes nationaux concernant la fiscalité des revenus de l’épargne, il est actuellement souvent possible aux résidents des États membres d’échapper à toute forme d’imposition sur les intérêts perçus dans un État membre différent de celui où ils résident.
La présente directive a donc pour objectif de permettre que les revenus de l’épargne, soient effectivement imposés conformément aux dispositions législatives de l’État membre de résidence du bénéficiaire, sur base des renseignements transmis.
Ainsi, aux termes de la directive, tous les États membres devront, à plus ou moins brève échéance, procéder à un échange automatique d’informations en ce qui concerne le paiement d’intérêts à des non-résidents.
Tous les États membres, à l’exception de la Belgique, du Luxembourg et de l’Autriche, introduiront immédiatement un système de communication d’informations.
En revanche, les trois pays susdits pourront recevoir des informations des autres États membres.
La directive a une portée étendue, qui couvre les intérêts des titres de créances de toute nature, qu’ils aient été obtenus directement ou qu’ils soient issus de placements indirects effectués par l’intermédiaire d’organismes de placement collectif ou d’autres entités similaires.
Les intérêts visés sont donc tous les intérêts dus à une personne physique qui réside dans un autre État membre, que le revenu provienne de sources internes ou externes à l’Union européenne.
La directive repose sur la coopération des opérateurs économiques qui paient directement les intérêts. L’agent payeur, généralement une banque, qui effectue le paiement d’intérêts aux particuliers sera tenu, soit de fournir des informations, soit, pendant la période transitoire, de prélever la retenue fiscale et de la transférer à son État membre d’établissement. En vertu de la directive, l’agent payeur sera tenu d’appliquer certaines procédures afin d’établir l’identité et la résidence du bénéficiaire effectif des intérêts.
La directive s’appliquera à partir du 1er janvier 2005, à condition que les accords avec certains pays tiers (Suisse, Andorre, Liechtenstein, Monaco et Saint-Marin) pour des mesures équivalentes et avec les territoires associés ou dépendants des États membres pour des mesures identiques ou les mêmes mesures que celles appliquées par la Belgique, le Luxembourg et l’Autriche, soient applicables à partir de cette date.
La Belgique, le Luxembourg et l’Autriche mettront en place un système de communication d’informations à la fin d’une période transitoire au cours de laquelle ils appliqueront une retenue à la source de 15% pendant les trois premières années, 20% pendant les trois années suivantes et 35% par la suite. Ils rétrocéderont 75% des recettes tirées de cette retenue à la source à l’État de résidence de l’investisseur.
Nous allons, revenir à présent, sur les différents objets de la directive, c’est à dire
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les personnes concernées,
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la notion d’agent payeur,
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les produits concernés,
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l’échange d’informations.
LES PERSONNES CONCERNEES
La directive prévoit de ne viser que les paiements d’intérêts effectués en faveur d’un bénéficiaire effectif.
La directive donne la définition du bénéficiaire effectif. On entend par «bénéficiaire effectif», toute personne physique qui reçoit un paiement d’intérêts ou toute personne physique à laquelle un paiement d’intérêts est attribué, sauf si elle fournit la preuve que ce paiement n’a pas été effectué ou attribué pour son propre compte, c’est-à -dire :
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si elle agit en tant qu’agent payeur,
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si elle agit pour le compte d’une personne morale, ou d’une autre entité ou enfin
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si elle agit pour le compte d’une autre personne physique qui est le bénéficiaire effectif et communique à l’agent payeur l’identité de ce bénéficiaire effectif.
Lorsqu’un agent payeur dispose d’informations suggérant que la personne physique qui reçoit un paiement d’intérêts, ou à laquelle un paiement d’intérêts est attribué, peut ne pas être le bénéficiaire effectif, il prendra des mesures raisonnables pour établir l’identité du bénéficiaire effectif. Si l’agent payeur n’est pas en mesure d’identifier le bénéficiaire effectif, il considère la personne physique en question comme le bénéficiaire effectif.
LA NOTION D’AGENT PAYEUR
La directive impose des obligations à l’agent payeur et non au contribuable final qui demeure soumis aux obligations fiscales de son Etat de résidence.
L’agent payeur est un opérateur économique qui paie ou attribue dans le cadre de sa profession ou de son activité commerciale des intérêts au profit immédiat du bénéficiaire effectif.
C’est à cet agent payeur et non au débiteur des intérêts, que la directive impose des obligations, soit d’information, soit de retenue à la source.
LES PRODUITS CONCERNES
La directive couvre les intérêts des titre de créance de toute nature, y compris les dépôts d’espèces et les obligations privées et publiques et autres titres d’emprunts négociables.
Sont donc touchés, principalement, les intérêts sur les comptes épargne, les intérêts sur les comptes à terme, les coupons d’obligations, les revenus de fonds de placement investis en obligations, les revenus de fonds de placement de trésorerie.
Quels sont les produits non visés par la directive, pour l’instant.
Il s’agit des revenus de fonds de placement investis exclusivement en actions, les dividendes d’actions et les produits d’assurances vie.
L’ECHANGE D’INFORMATIONS
Tous les États membres vont devoir, fournir des informations à d’autres États membres concernant les paiements d’intérêts à des non résidents. Cette approche reflète la tendance constatée au niveau international vers une intensification de la coopération administrative et de l’échange d’informations entre les administrations fiscales.
C’est bien en fait l’objectif ultime de cette directive. Il ne s’agit pas d’une harmonisation de la fiscalité européenne de l’épargne, mais bien de la mise en place d’un système d’échange de renseignements. Le seul objectif de cette directive est d’assurer que les États membres disposent des informations suffisantes leur permettant d’appliquer à leurs propres résidents le taux d’imposition qu’ils jugent approprié.
Ceci est très important car si les Etats membres ne parviennent pas à se mettre d’accord sur des taux ou sur des modalités d’imposition, un consensus quasi général se dégage sur l’opportunité d’accentuer l’échange de renseignements, pour des raisons fiscales et cela dépasse le cadre des Etats de l’Union européenne. La question a été débattue au sein de l’OCDE qui a présenté une série de recommandations, non contraignantes pour l’amélioration de l’accès aux renseignements bancaires, à des fins fiscales.
C’est dans ce contexte que la Belgique, le Luxembourg et l’Autriche ont défendu leur secret bancaire et ont obtenu des dispositions transitoires avant l’application de l’échange de renseignements automatique en matière d’épargne. Dans les faits, plusieurs états sont très attachés à leur secret bancaire.
C’est pourquoi, la Belgique, le Luxembourg et l’Autriche ne mettront en oeuvre un échange d’informations que si la Communauté européenne conclut un accord, à l’unanimité au sein du Conseil, avec la Suisse, le Liechtenstein, Saint-Marin, Monaco et Andorre, accord visant à échanger des informations exclusivement sur demande. Ils devront également continuer à appliquer en même temps la retenue à la source.
Il convient de souligner que pour l’instant les négociations avec les pays tiers avancent lentement, notamment sur la question de l’échange de renseignements. Nous reviendrons sur l’avancée de ces négociations, ultérieurement.
En tout état de cause, la directive prévoit la communication d’informations par l’agent payeur.
Le contenu minimal des informations que l’agent payeur est tenu de communiquer à l’autorité compétente de l’État membre où il est établi est le suivant :
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l’identité et la résidence du bénéficiaire effectif,
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le nom ou la dénomination et l’adresse de l’agent payeur,
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le numéro de compte du bénéficiaire effectif ou, à défaut, l’identification de la créance génératrice des intérêts,
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des informations concernant le paiement d’intérêts.
Cet échange de renseignements aura un caractère automatique et sera effectué au moins une fois par an dans les six mois qui suivent la fin de l’exercice fiscal de l’Etat membre de l’agent payeur pour tous les paiements d’intérêts effectués au cours de l’année.
Par exemple un résident belge qui encaissera ses coupons à Luxembourg, ou un français qui encaissera des intérêts en Belgique sera soumis à une retenue à la source ou précompte au taux de 15, 20 ou 35% selon la période requise.
L’état de résidence du bénéficiaire pourra également imposer le bénéficiaire effectif sur ce revenu, en vertu de son droit interne. Ce serait le cas entre la France et la Belgique.
A charge pour l’état de résidence, donc la France, d’appliquer les dispositions prévues pour éviter la double imposition.
La directive prévoit, dans ce cas, que lorsque les intérêts reçus par un bénéficiaire effectif ont été grevés d’une retenue à la source dans l’État membre de l’agent payeur, l’État membre de résidence fiscale du bénéficiaire effectif accorde à celui-ci un crédit d’impôt égal au montant de cette retenue conformément à son droit interne.
Lorsque le montant de celle-ci est supérieur au montant de l’impôt dû conformément à son droit interne, l’État membre de résidence fiscale rembourse la différence prélevée en excès au bénéficiaire effectif.
L’État membre de résidence fiscale du bénéficiaire effectif peut remplacer le mécanisme de crédit d’impôt par un remboursement de la retenue à la source.
Si l’on reprend le même exemple, si le résident belge part, en revanche, encaisser ces coupons à Amsterdam ou en Allemagne, il ne paiera pas de précompte au Pays-Bas ou en Allemagne.
Les autorités fiscales néerlandaises ou allemandes transmettront, dans le cadre de l’échange automatique de renseignements, les informations obligatoires aux autorités fiscales belges.
Ces dernières pourront alors se charger de prélever l’impôt en Belgique, aux conditions de droit commun.
Telle sera la situation si la directive entre effectivement en vigueur le 1er janvier 2005.
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LES NEGOCIATIONS AVEC LES PAYS TIERS
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Comme on le sait, la directive s’appliquera à partir du 1er janvier 2005, à condition que les accords avec certains pays tiers (Suisse, Andorre, Liechtenstein, Monaco et Saint-Marin) pour des mesures équivalentes et avec les territoires associés ou dépendants des États membres pour des mesures identiques, soient enfin signés.
Nous reprenons ci-après les dernières évolutions annoncées par la Commission.
L’Union européenne et la Suisse ont négocié un accord de coopération. Cet accord prévoit le paiement de la retenue à la source dans les mêmes proportions que pour la Belgique, l’Autriche et le Luxembourg. Le taux de cette retenue d’impôt est de 15 % au cours des trois premières années à compter de la date d’application du présent accord, de 20 % au cours des trois années suivantes et de 35 % ensuite.
En ce qui concerne l’échange de renseignements, les autorités compétentes de la Suisse et de tout État membre échangent des renseignements sur les comportements constitutifs de fraude fiscale au regard de la législation de l’État requis, ou d’une infraction équivalente concernant des revenus couverts par l’accord.
Par « infraction équivalente », on entend uniquement une infraction du même degré de gravité que dans le cas de la fraude fiscale au regard de la législation de l’État requis. En réponse à une requête dûment justifiée, l’État requis communique des renseignements sur les matières faisant l’objet ou susceptibles de faire l’objet d’enquêtes civiles ou pénales dans l’État requérant. Les renseignements sont échangés conformément aux procédures établies dans les conventions de double imposition entre la Suisse et les Etats membres et seront tenus secrets de la manière prévue dans ces conventions.
La Suisse conditionne l’issue positive de ce compromis à d’autres négociations, notamment son intégration à l’Espace Schengen et la lutte contre la fraude. Les pourparlers portent, en effet sur la question de l’entraide judiciaire en matière fiscale, donc de secret bancaire.
En ce qui concerne les autres pays, c’est à dire le Lichtenstein, Monaco, Andorre et Saint-Marin, ils ont finalement tous accepté, comme la Suisse, de prélever une retenue à la source de 15, 20, puis 35 % et de transmettre sur demande des informations relatives à des cas de « fraude fiscale » ou d’une infraction équivalente.
Cependant, chacun désire d’autres engagements de la part de l’Union européenne.
Andorre a obtenu, de l’Union européenne, d’être liée par un accord monétaire, qui permettra à la principauté de battre monnaie en Euro.
Monaco, veut introduire le concept d’escroquerie fiscale, dans sa législation, calqué sur la définition très restrictive de la Suisse. D’autre part la Principauté voudrait accéder au marché unique des services financiers et que soit supprimée l’étiquette de paradis fiscal qui lui est toujours appliquée.
Saint-Marin souhaite également accéder au marché unique des services financiers, participer aux programmes européens de recherche et d’éducation et que soit simplifié les procédures douanières.
Le Lichtenstein, quant à lui, veut pouvoir avoir la possibilité de répondre à une demande d’information sur une affaire de fraude fiscale, dans un délai indéterminé.
Enfin les quatre pays veulent obtenir, pour chacun d’eux que soient étendus à leur territoires les bénéfices des directives sur la fiscalité des entreprises, sociétés mères et filiales et intérêts et redevances, qui permettent que ne soient pas imposés les paiements des dividendes, d’intérêts et de redevances, intragroupe. Les vingt cinq Etats membres de l’Union ont, pour l’instant, refusé d’accéder à cette dernière demande.
Cependant, des compromis ont été finalement trouvés pour le prélèvement de la retenue à la source.
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En conclusion, dans la mesure où les Etats membres souhaitent respecter le calendrier fiscal du 1er janvier 2005, les négociations évoluent continuellement, pour que les accords soient applicables à cette date.
Pourtant au moment où cet article est rédigé, on ne peut pas encore affirmer que la directive sur la fiscalité de l’épargne entrera définitivement en vigueur le 1er janvier 2005.
Cabinets FONTANEAU
Nice – Paris – Bruxelles