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par Eric ENGLE,
Article publié dans la Revue « Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires » N° 131 (Année 2002)
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PERSPECTIVE THEORIQUE
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La notion de résidence fiscale, comme d’autres concepts du droit international (la juridiction, par exemple) est de plus en plus flexible dans son application, comme symbole d’un système commercial mondial. En tant que telle, elle est bien différente des définitions rigides et formalistes qu’elle remplace. Cette définition se centre sur la notion du « résidence » suivant la prise en compte de plusieurs facteurs régissant le devoir fiscal du contribuable.
Pourtant, des interprétations différentes subsistent. L’objet de cette étude a pour but d’exposer la méthode prenant en compte ces facteurs, leur interprétation et, de là , leur modélisation par l’informatique.
VERS UNE INTERPRETATION PLURIELLE DU DROIT
L’interprétation des faits et des lois est un problème incontournable dans toute question d’ordre juridique. On peut distinguer principalement deux approches analytiques avec, d’une part, une interprétation exégétique et, d’autre part, téléologique (1).
Interprétation exégétique
L’interprétation exégétique veut définir le droit en fonction des critères objectifs (2). Dans cette optique, les textes doivent être analysés avec rigueur afin de dégager le sens précis des termes.
Cependant, cette interprétation doit toujours se référer aux intentions du législateur voulant les mettre en oeuvre. La décision n’est alors qu’une déduction. De cette façon, la loi est toujours considérée comme prévisible ( «black letter law, bright line tests»). L’accent est mis ici sur le caractère prévisible et binaire du droit. Cette méthode est en adéquation avec le jus naturalis, sans pour autant être en contradiction avec le positivisme et, ainsi, subsiste encore comme méthode dans le droit contemporain.
Interprétation téléologique
Cette approche remet en question la méthode exégétique. La méthodologie téléologique prend comme point de départ le fait que l’interprétation de la volonté du législateur est toujours problématique: déterminer à partir des textes la volonté générale d’un groupe de personnes – dans la mesure où elle existe – s’avère difficile, voire même impossible. Ainsi cette méthode cherche à cerner non la volonté du législateur, mais les objectifs de la loi. Cette théorie est alors plus volontariste. Elle autorise les juges à faire du droit et, par là , à adapter et nuancer leurs interprétations (3).
La méthode des perspectives volontaristes du droit est souvent une recherche d’équilibre. Les juges mettent en balance des facteurs prévisibles dans le but de déterminer des résultats justifiables pour des cas imprévisibles.
Cette approche soulève pourtant la question sous-jacente d’interprétation de fait (4). Comment quantifier les faits se trouvant à l’origine de ces mises en balance? En fait la décision arbitraire n’est plus l’interprétation du droit mais la détermination des facteurs à mettre en balance. La question qui se pose alors est de savoir si l’informatique peut modéliser cette recherche d’équilibre afin de préciser ce qui est souvent ignoré : le poids exact de chaque facteur quelconque dans cette recherche d’équilibre.
Informatique
Au centre de la question de modélisation informatique du droit se pose celle de son interprétation. Nous allons faire référence aux deux approches ci-dessus par rapport à la convention fiscale franco-américaine (5). Le code d’un logiciel suit le commentaire des règles juridiques permettant de déterminer la résidence fiscale d’une personne physique ou d’une personne morale. Cette détermination est faite à partir d’un algorithme de pondération (6), lui-même défini à partir de la législation pertinente – ici, la convention. La quantification des valeurs est arbitraire, mais leur pondération est déterminée par le droit. De cette façon, l’interprétation téléologique s’applique afin de déterminer le poids des facteurs, et l’interprétation exégétique, quant à elle, pour leur pondération.
Selon nous, le rôle correct de l’informatique en droit est celui d’un outil rendant plus aisé le travail du juriste dans la justification de sa décision (7).
LE PROBLEME DE DOUBLE IMPOSITION
Dans cette optique, nous nous proposons de déterminer la responsabilité fiscale éventuelle d’un contribuable dans les situations de double imposition.
Au niveau théorique, les critères croisés (« source » et « domicile ») donnent quatre possibilités; les conventions fiscales visent justement à résoudre l’incertitude résultant de cette situation.
 | Domicile | ||
Source | Â | France | Etats-Unis |
France | Â | Â | |
Etats-Unis | Â | Â |
Le problème de la fiscalité internationale est que le contribuable peut être reconnu – sans convention fiscale- imposable et domicilié dans plusieurs pays. Ainsi l’objectif des conventions fiscales est-il de déterminer le domicile du contribuable – ou plus exactement – sa résidence fiscale – et de définir de façon exclusive le pays d’assujettissement du contribuable. Le plus souvent, il sera tenu compte de l’ensemble du revenu du contribuable, sans exclure la possibilité de n’en retenir qu’une partie.
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LA NOTION DE RESIDENCE FISCALE
DROIT INTERNE – LA RESIDENCE FISCALE
La résidence fiscale est déterminée, en premier lieu, en fonction du droit interne.
Les résidents fiscaux en France doivent répondre à l’un des critères suivants
- avoir un foyer en France
séjourner de façon habituelle en France
exercer une activité professionnelle non accessoire en France
avoir un centre d’intérêt économique en France, autrement dit :i. avoir des investissements en France
ii. gérer une entreprise en France
iii. posséder des revenus dérivés de source française
Les résidents fiscaux en France doivent répondre à l’une des conditions suivantes :
- être légalement admis à résider de manière permanente aux E.U (green card test)
avoir une présence substantielle aux États-Unis déterminée par un séjour de plus de 183 jours dans l’année présente, (8)
– Conséquences de la résidence aux États-Unis :
i. Les non-résidents ne sont responsables que de leurs revenus de source américaine.
ii. Les résidents sont soumis à une imputation de tout revenu au-delà d’un plafond de $70.000 qui s’applique aux revenus provenant de l’étranger.
La difficulté de la définition de la résidence provient du fait que, dans la pratique, des contribuables peuvent remplir des conditions des deux pays en même temps. Comment déterminer leur résidence dans ce cas? Simplement, par une appréciation des critères, que nous allons examiner maintenant.
DROIT EXTERNE – LA CONVENTION
La convention fiscale franco-américaine intervient seulement en cas de double résidence. Dans le cas où un contribuable remplit les conditions de résidence simultanément dans les deux pays une adéquation des facteurs va déterminer sa résidence.
Résidence Fiscale pour les Personnes Physiques remplissant les conditions dans les deux pays
La méthode de détermination de la résidence fiscale d’une personne résidant simultanément dans les deux pays, consiste alors en une interprétation exégétique et binaire ou en une interprétation téléologique avec adéquation des facteurs concurrents. L’exemple est illustré dans le tableau suivant :
REPRESENTATION SCHEMATIQUE POUR ILLUSTRER LES REGLES DE DETERMINATION DE RESIDENCE EN CAS DE DOUBLE RESIDENCE (Personne Physique)
Bien entendu ce modèle peut être le fondement d’un logiciel qui a depuis été réalisé, à titre expérimental. Il est possible de le consulter. Ce logiciel sera repris en annexe de l’article. Bien sûr il ne représente pas une méthode exacte de détermination de la résidence. Il s’ agit d’une version Beta réalisée à seule fin de tenter de modéliser l’interprétation d’une convention par l’informatique.
Logiciel de détermination de la résidence fiscale
Attention ! ce logiciel est une version beta réalisée à titre expérimental
Il est maintenant nécessaire d’approfondir ou de préciser les règles de la convention.
Règles de la Convention :
i. Foyer
Le foyer est une habitation permanente (terme déterminé) et disponible pour le contribuable et sa famille. Ce terme est commun aux conventions modèles de l’OCDE et de l’ONU.
ii. Centres d’intérêts vitaux
Ce terme a une signification plus large que l’idée de « centre d’intérêts économiques » selon le droit français. Il exprime une pondération entre des facteurs personnels (ratione personae) et matériels (d’ordre économique – ratione materiae). Cette pondération est destinée à déterminer le lieu où le contribuable a l’essentiel de ses intérêts -familiaux ou professionnels-.
La Résidence Fiscale des Personnes morales simultanément résidentes dans deux pays liés par la convention
1. Ni la France, ni les États-Unis n’ont de procédure pour déterminer d’une façon exégétique la résidence fiscale d’une société (9).
Les États-Unis utilisent la règle suivante en fonction d’une pondération contextuelle :
La résidence fiscale d’une société est déterminée par son lieu de constitution et son siège social
Bien que le plus souvent la convention fiscale Franco-Américaine suive le modèle OCDE ; dans ce cas, la règle américaine ne le suit pas.
Déterminer la résidence fiscale d’une société est problématique à cause du caractère international des échanges commerciaux (les liens politiques, économiques, et géographiques échappent à l’ancien modèle territorial de l’État et de l’entreprise nationale). De ce fait, la nature même du commerce international explique la difficulté à déterminer la résidence fiscale des personnes morales. Par ailleurs, le problème des sièges fictifs de sociétés ne peut être résolu par une simple méthode exégétique; dans ce cas, la méthode téléologique s’avère plus pertinente: Définir l’adéquation de facteurs concurrents semble être le moyen le plus approprié dans le cas des personnes morales.
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OBSERVATIONS SUR LA CONVENTION
SIGNIFICATION DES CONVENTIONS
La notion de résidence a une double fonction d’utilité.
* La résidence fiscale sert à déterminer les personnes qui peuvent invoquer le traité.
Ainsi, par exemple, une personne résidente au Mexique, possédant une maison en France ne peut pas invoquer la convention fiscale – bien qu’elle soit un citoyen des États-Unis : la convention s’adresse à la résidence et non à la citoyenneté.
* La convention fiscale résout le problème de double domicile
Ainsi, par exemple, un résident fiscal à la fois de la France et des États-Unis est imposable là où se trouve son foyer (habitation permanente).
* La convention fiscale prouve l’applicabilité de la convention pesant sur le contribuable (décision de C.E. 14/II/1997).
METHODES UTILISEES DANS LA CONVENTION
Pondération
Globalement, nous avons indiqué que la méthode principale de la détermination de la résidence est l’adéquation des intérêts. La convention démontre que la détermination de la résidence fiscale selon la convention se réduit à une pondération parmi une variété de critères – personnels, économiques, professionnels – considérés ensemble dans leur contexte respectif. Ceci soutient la position de l’école téléologique d’interprétation « créatrice ».
Détermination de la Terminologie
La pondération, pour autant, concerne enfin des mots et phrases bien spécifiques. Cette terminologie se détermine selon deux méthodes différentes afin d’éviter toute ambiguïté :
a. définition explicite – le phrase est définie dans le texte même.
b. définition par référence au droit interne – la convention se réfère aux autres documents juridiques.
De fait, la convention fiscale impose le deuxième modèle par référence au droit interne.
Pourtant, afin d’éviter la confusion terminologique entre domicile civil et domicile fiscal, un terme nouveau de « résidence fiscale » est crée s’appliquant à la suite d’un conflit au niveau du droit interne. En fait, la convention est élaborée à partir du droit existant, tout en proposant des règles inédites.
OBJECTIFS DES CONVENTIONS – RATIO JURIS
Objectifs Économiques des Conventions Fiscales
Le système des conventions fiscales a trois objectifs économiques.
D’abord, il cherche à encourager le commerce international par l’élimination des obstacles fiscaux (10).
Ensuite, il cherche à encourager le développement économique du Tiers-monde. Les conventions suivant le modèle de l’ONU sont plus favorables aux pays du Tiers-monde que celles de l’OCDE destinées aux pays industrialisés.
Enfin la convention cherche à obtenir une neutralité économique. La fiscalité internationale ne devrait pas faire entrave au commerce ni le décourager par des sur-impositions.
Objectifs Juridiques des Conventions Fiscales
La convention fiscale cherche à combattre l’évasion et la fraude (11) par la création des concepts communs (12) et par une amélioration de l’échange des renseignements entre les différentes administrations fiscales. De plus, un des objectifs de la convention est de clarifier une certaine confusion terminologique.
La convention aussi cherche à créer des mécanismes de résolution des conflits internationaux au sujet de la double imposition (13), de la double résidence ou de la non imposition. Finalement le système conventionnel cherche à assurer l’équité fiscale
PROBLEMES NON ENCORE RESOLUS PAR LA CONVENTION :
La suprématie des lois postérieures aux traités, en droit interne américain (14)
En dépit de sa fonction d’harmonisation, des lacunes et contradictions subsistent parfois encore dans le système conventionnel. Par exemple, selon le droit interne américain, s’il y a un conflit entre une loi et un traité, le plus récent des deux textes l’emporte. La réponse française à ce problème est une non reconnaissance de la partie du traité annulée par la législation – jusqu’au moment où la faute est corrigée.
Des lois non réciproques
France – Avoir fiscal
Les États-Unis n’ont pas de mécanisme équivalent à « l’avoir fiscal » ; ceci a posé un problème dans le passé – désormais résolu (après un échange de lettres entre les ambassades).
USA – « foreign tax credit »
En revanche, les États-Unis permettent au contribuable de déduire de ses impôts dus le montant des impôts versés à l’étranger – ce qui n’est pas le cas en France.
Territorialité
La convention régit les relations entre les gouvernements nationaux. Cependant, elle ne s’applique pas aux gouvernements étatiques (Californie, New York et cetera), ni aux « Territoires d’Outre Mer ».
Ces positions asymétriques créent un problème pour les administrations en représentant des « fenêtres » d’évasion potentielles. Ce problème ne peut être résolu que par une augmentation de la coopération internationale.
CONCLUSION
Au niveau méta-juridique, on constate quatre tendances :
- L’apparition d’un principe d’égalité de traitement entre Nationaux et Étrangers.
- L’apparition, après la guerre et surtout après la décolonisation, d’un nouvel ordre fiscal international interdépendant (la réalité économique aujourd’hui est d’ordre mondial et interdépendant).
- La tendance des États-Unis à plutôt s’orienter vers le modèle proposé par l’OCDE.
- La poursuite de la tendance à la dissolution et à la transformation de l’ancien concept territorial de la souveraineté. Cette transformation se fait, en premier lieu, avec l’abandon de la définition génétique (France) ou territoriale (les États-Unis) de la souveraineté. Ces concepts anciens et rigides sont en voie d’être remplacés par des formes juridiques plus adaptées, plus souples.
On peut envisager que le principal résultat de ce processus sera la fin de l’ancienne forme juridique de souveraineté.
Dans cette perspective, les conventions fiscales auront de plus en plus d’importance en tant que mécanisme juridique de soutien des objectifs décrits ci-dessus.
Le programme informatique qui les représente peut être consulté sur
Logiciel de détermination de la résidence fiscale
Attention ! ce logiciel est une version beta réalisée à titre expérimental
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Eric ENGLE
Notes :
(1) Danièle Bourcier « L’Interprétation dans les systèmes experts juridiques : de l’intime conviction à la formalisation des règles »,
ch. 10, p. 216.
(2) Id. p. 224.
(3) Id. p. 225.
(4) Id. p. 219.
(5) Cette méthodologie est adaptée à partir d’un modèle développé par Prof. Danièle Bourcier « L’Interprétation dans les systèmes experts juridiques : de l’intime conviction à la formalisation des règles », ch. 10, p. 215.
(6) Ceci n’est pas le seul algorithme (engin de déduction+base de connaissance) possible. Également possibles sont des listes Id. p. 222 (le cas de l’établissement stable sous la convention). Aussi des règles générales (avec ou sans exceptions). Id. p 225.
(7) « »Cette nécessité est devenue règle de loi puisque les articles 2 et 3 de la loi Informatique et Libertés exige qu’une décision administrative ou judiciaire ne puisse avoir pour seul fondement qu’un traitement automatisé de l’information donnant une définition du profil ou de la personnalité de l’intéressé’» Danièle Bourcier « L’Interprétation dans les systèmes experts juridiques : de l’intime conviction à la formalisation des règles », ch. 10, p. 223.
(8) International Tax Report, « Avoiding Pitfalls when becoming a US Resident », September 1992.
(9) Klaus Vogel, Practical Issues in the Application of Double Tax Conventions. Rotterdam: Kluwer (1998). P. 350.
(10) Klaus Vogel, Practical Issues in the Application of Double Tax Conventions. Rotterdam: Kluwer (1998). P. 730.
(11) Id.
(12) Id.
(13) Klaus Vogel, Practical Issues in the Application of Double Tax Conventions. Rotterdam: Kluwer (1998). P. 731.
(14) Klaus Vogel, Practical Issues in the Application of Double Tax Conventions. Rotterdam: Kluwer (1998). P. 729.