FISCALITE DE L’EPARGNE : L’INTRODUCTION DE « MESURES EQUIVALENTES » EN SUISSE


par Kathrin Lanz, lic.iur., avocate, LL.M., Berne/CH (Année 2002)


LA PLACE FINANCIERE SUISSE

Les activités financières ont une importance considérable pour l´économie de la Suisse. Selon des statistiques, les banques et les assurances suisses produisent 10-13% du produit national brut. Presque 6% de la main-d´œuvre sont employés dans le secteur financier.

Les banques suisses sont particulièrement connues pour le « Private Banking » (gestion de fortune privée). Il est estimé que le montant des avoirs sous forme de dépôts par des investisseurs étrangers (« offshore ») correspond à peu près à 1.900 milliards de francs suisses (« 1.267 milliards euro). Le placement et l´investissement d´argent en Suisse sont populaires pour différentes raisons : le site géographique, la qualité des services (spécialement la consultation personnelle par les banquiers), la neutralité, la stabilité et la solidité du pays, l´environnement juridique favorable, la fiscalité modérée, la stabilité du franc suisse et finalement le secret bancaire, un atout important. En revanche, les taux d´intérêt, assez faibles, ne sont pas un facteur pour attirer des capitaux.

En vue de préserver la bonne réputation et la crédibilité de son pays dans le monde, le législateur suisse a arrêté des réglementations strictes pour lutter contre l´usage abusif de sa place financière, notamment des lois concernant la surveillance des banques et des transactions financières (v. art. 305bis et 305ter du Code pénal et les dispositions pertinentes de la Loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d´argent dans le secteur financier [LBA]).

La Suisse s´est également engagée dans la lutte contre le blanchiment d´argent et contre le crime organisé au niveau mondial. Les instruments de lutte contre les infractions de nature fiscale vont être traités ci-dessous. En outre, les banques elles-mêmes se sont engagées dans un contrat civil à respecter certaines règles de diligence (Convention relative à l´obligation de diligence des banques du 1er juillet 1998).

LE SYSTEME ACTUEL D´IMPOSITION DES REVENUS DE L´EPARGNE ET SES LACUNES

La Confédération, et tous les cantons, perçoivent un impôt direct sur les revenus, en fait, les bénéfices des personnes physiques et morales, donc les revenus de l´épargne.

Les personnes sont imposées en fonction d’un critère de rattachement personnel (domicile ou séjour d’une certaine durée, pour les personnes physiques – siège ou administration effective, pour les personnes morales), ou, enfin, selon un critère de rattachement économique avec le pays.

La souveraineté d´imposition de la Suisse est donc liée, dans une large mesure, au principe du pays de résidence. Une exception, entre autres, est faite pour les biens immobiliers à l´étranger, appartenant aux résidents en Suisse, qui ne sont pas imposés par l´Etat suisse. Dans le contexte international, la Suisse préconise la méthode d´exonération. Rappelons qu´au contraire presque tous les pays de l´UE imposent sur la base mondiale.

Une conception différente constitue le principe d’imposition du pays de source, selon lequel un Etat peut imposer tous les revenus provenant de son territoire, indépendamment de la résidence du bénéficiaire.

Pour être sûr que les contribuables déclarent leurs revenus vis-à-vis des administrations fiscales, un impôt anticipé sur les revenus des capitaux mobiliers (intérêts, dividendes, fonds de placement, etc.) est prélevé (art. 1, al. 1 et 4 de la Loi fédérale sur l´impôt anticipé [LIA]). Les débiteurs sont, avec quelques exceptions, tenus de déduire le montant de l´impôt de la prestation versée au créancier et donc de répercuter la taxe sur le contribuable (art. 1 al. 2, 10 et 14 LIA). L´impôt anticipé relève de la compétence exclusive de la Confédération (art. 132, al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse).

La retenue doit être appliquée sur tous les revenus de l´épargne, indépendamment du destinataire, et suit donc le principe de l’imposition dans l’Etat de la source. De ce fait, la retenue peut se traduire par une imposition définitive, au cas où le pays de résidence du bénéficiaire étranger n´a pas conclu une convention fiscale pour éviter une double imposition.

Dans ce contexte, la retenue constitue une recette pour l´Etat suisse. En outre, selon plusieurs conventions bilatérales seulement une partie de l´impôt anticipé est remboursée (entre 20 et 35%). Sinon, l´assujetti est remboursé par l’imputation de la retenue lors de son imposition (art. 21 LIA). L´impôt anticipé est un moyen assez efficace afin de garantir l´imposition des revenus, vu la hauteur du taux de 35% entraînant un effet dissuasif. Malgré tout, pour une partie de la retenue aucun remboursement n´est demandé.

Le système offert par la Suisse pour fermer le dispositif de sécurité, sera décrit infra.

Un mécanisme, pour ne pas perdre de recettes fiscales, est donc l´impôt anticipé. L´autre procédé est de nature pénale. Selon les lois sur les impôts, l´évasion et la fraude fiscales sont passibles de sanction pénale. Toutefois, la poursuite de ces délits est rendue plus difficile par l´existence du secret bancaire.

LE SECRET BANCAIRE

Le secret bancaire tire son origine des guerres de religion en France, lorsque des huguenots français ont mis à l’abri leurs capitaux dans des banques privées à Genève.

La protection des données de clients découle principalement des droits civils, c’est-à-dire de la relation contractuelle entre la banque et le client. La sphère personnelle du client est également protégée par les dispositions du code civil relatives à la protection de la personne (art. 27 et sq du code civil), et de la législation sur la protection des données. La révélation des secrets est en outre pénalisée par l’article 47 de la loi fédérale sur les banques et les caisses d’épargne (LB) et elle est poursuivie d’office.

Le secret bancaire est défini comme « l´obligation de discrétion que les représentants et les employés d´une banque doivent garantir sur les affaires économiques de leurs clients ou de tiers, parvenues à leur connaissance dans l´exercice de leur profession ». Il protège donc le client et non pas la banque (bien qu´il faille avouer que son existence protège aussi les banques, car il agit comme un facteur attractif des capitaux).

Précisons que les banques sont obligées d´identifier leurs clients lors de l´ouverture d´un compte et d´informer le Bureau de communication en matière de blanchiment d´argent en cas d´origine douteuse des capitaux (art. 3 al. 1 et 9 al. 1 LBA). Des comptes anonymes n´existent de ce fait pas en Suisse (à l´exception des avoirs en déshérence des juifs); la spécificité d´un compte dit à numéro, caractérisée par le remplacement du nom par un numéro, signifie que seul un cercle restreint du personnel de la banque connaît l´identité du titulaire.

Le secret bancaire n´est pas absolu. Le client lui-même peut délier la banque de son obligation de discrétion. Ensuite, il trouve ses limites, entre autres, dans le cadre d´une poursuite pénale. Dans ce cas, le secret peut être levé sur l´ordre d´une autorité judiciaire, même contre la volonté du client.

En ce qui concerne la lutte contre les infractions à caractère fiscal, la législation suisse fait une distinction importante entre l´évasion et la fraude fiscales (art. 175 resp. 186 de la Loi fédérale sur l´impôt fédéral direct [LIFD]). Tandis que la première est « seulement » considérée comme une contravention et est poursuivie par les autorités fiscales, la seconde est un délit au sens du code pénal et sa poursuite incombe aux autorités pénales.

Cette différence engendre aussi des conséquences au niveau international. L´entraide judiciaire n´est accordée que pour les infractions qui peuvent être qualifiées de délits pénaux selon le droit suisse (principe de double incrimination). En cas d´évasion fiscale, l´entraide est par conséquent refusée (v. art. 3 al. 3 de la Loi fédérale du 20 mars 1981 sur l´entraide internationale en matière pénale [EIMP]). Il existe une jurisprudence abondante du Tribunal fédéral sur la question de savoir quels délits sont à qualifier comme escroquerie en matière fiscale.

La base pour l´assistance mutuelle en matière pénale entre les autorités judiciaires se trouve dans plusieurs accords bilatéraux, la Convention européenne d´entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959, ratifiée par la Suisse, et subsidiairement l´EIMP. L’entraide pénale consiste essentiellement à soutenir une procédure pénale pendante. Pour qu´elle soit accordée, il faut que d´autres conditions soient remplies. Les autorités étrangères peuvent notamment utiliser l´information uniquement dans le cadre pour lequel elle a été donnée (principe de spécialité), l´Etat requérant doit garantir la réciprocité et les mesures requises doivent être proportionnées à la sévérité du délit poursuivi (v. art. 67, 8 et 63 EIMP).

L´assistance administrative en matière fiscale est réglée par des conventions bilatérales visant à éviter la double imposition. La Convention multilatérale du Conseil de l´Europe et de l´OCDE pour l´échange mutuel de renseignements en matière fiscale du 25 juin 1987 n´a cependant pas été signée par la Suisse.

L´entraide administrative doit servir à mettre en Å“uvre la procédure de taxation fiscale par une autorité étrangère. L´échange d´informations est pourtant limité : d´une part, à cause du secret bancaire et des principes qui viennent d´être expliqués, d’autre part, à cause de la réserve de la Suisse à l´article 26 du Modèle de Convention OCDE limitant l´échange à la bonne application de la convention (donc seulement pour éviter une double imposition et non pas pour la poursuite d´une fraude fiscale ; les Etats-Unis ont cependant négocié une exception à ce dernier principe dans une convention du 2 octobre 1996). Si elle a l´intention d´échanger des informations, l´Administration Fédérale des Contributions doit édicter une décision formelle susceptible d´opposition puisque des intérêts personnels des contribuables sont en question.

C´est surtout le manque d´entraide pour les infractions comme l´évasion fiscale qui est critiqué par les autres Etats, et d´ailleurs également à l´intérieur du pays. L´autre difficulté réside dans le principe de spécialité qui signifie dans ce contexte que, même si la Suisse a fourni des informations à l´autorité judiciaire pour la poursuite d´une fraude fiscale, ces informations ne doivent pas être transmises à l´autorité fiscale pour poursuivre la fausse déclaration des revenus. La longueur des procédures, due à leur complexité et à la possibilité de déposer des recours, est aussi critiquée. La Suisse a récemment effectué des réformes pour améliorer cette situation, mais elle tient aux voies de recours issues de sa tradition d´Etat de droit.

Comme il existe une forte tendance au niveau mondial à la transparence et à une coopération étroite, en particulier à l´échange d´informations, le secret bancaire suisse est de plus en plus sous pression. Celle-ci augmente encore en raison des efforts au sein de l´UE en matière de fiscalité de l´épargne.

L´INTRODUCTION DE « MESURES EQUIVALENTES »

En vue d´être suffisamment assurée que la Suisse applique des « mesures équivalentes » au régime que les Etats membres ont convenu d´appliquer dans le projet de directive de 2001 sur la fiscalité de l’épargne, l´UE a commencé à mener des discussions informelles avec la Suisse en 2002.

L’objet de ces mesures est cependant vivement controversé. Dans la version provisoire du mandat de négociation la notion de « mesures équivalentes » n´est pas précisée. On veut préserver un maximum de flexibilité dans les négociations. Il apparaît cependant que, selon la position de l´UE, ces mesures équivalentes doivent comprendre la mise en Å“uvre de l´échange d´informations après la période transitoire, puisque cet échange est une partie importante de la directive.

Cette position reflète celle du Luxembourg qui a fait la même déclaration lors du sommet de Feira. La Suisse, par contre, est d´avis que des mesures équivalentes n´impliquent à aucun moment la levée du secret bancaire. Elle propose l´instauration d´une retenue à la source sur les intérêts de source étrangère versés par un agent payeur situé en Suisse à un non-résident pour combler la « brèche géographique » dans le système communautaire prévu.

Théoriquement, il existe plusieurs possibilités afin d´assurer une imposition effective des intérêts de source étrangère versés par un agent payeur suisse aux personnes imposables dans l´UE:

(i) L´introduction, sur la base d´un traité international, d´un impôt à l´agent payeur sur les intérêts de source étrangère [proposition suisse].

Les agents payeurs situés en Suisse doivent retenir un certain montant sur les intérêts de la source étrangère qui sont destinés aux non-résidents. Se posent alors des questions au niveau du taux de cet impôt et d´un éventuel partage des recettes. La base légale de l´impôt fait l’objet d’un traité avec la Communauté. Il ne serait pas créé un nouvel impôt suisse; il s´agirait plutôt d´une extension du champ d´application territorial de la directive communautaire. La mesure aurait donc le caractère d´une « entraide de nature procédurale ».

(ii) L´introduction unilatérale d´un impôt à l´agent payeur sur les intérêts de source étrangère.

Le système est le même que celui décrit sous (i) avec la différence que l´impôt est perçu sur la base d´une nouvelle loi suisse.

(iii) L´élargissement de l´impôt anticipé aux débiteurs étrangers.

Le champ d´application de la LIA est étendu et les débiteurs étrangers doivent également verser 35% des intérêts directement au fisc suisse. Ainsi, la lacune dans le système de l´impôt anticipé est fermée.

(iv) L´échange d´informations.

Cette solution implique la levée du secret bancaire. Là aussi, des différenciations sont possibles. On peut imaginer que des renseignements soient donnés sur demande ou, comme dans le système communautaire, automatiquement. Le secret bancaire pourrait être levé pour toutes les données ou seulement pour celles des non-résidents. Finalement, l´échange d´informations pourrait être introduit après une période de transition ou immédiatement.

QUELS SYSTEMES SONT A QUALIFIER COMME « MESURES EQUIVALENTES » ?

Il est clair que selon la directive de 1998, prévoyant le modèle de coexistence, la proposition de la Suisse aurait valeur sans discussion de mesure équivalente. Ainsi, le commissaire Monti a-t-il assuré, en 1999, que le secret bancaire n´était pas en danger.

Entre-temps, la situation et le système envisagé ont changé. Malgré cela, il nous semble qu´il faut distinguer entre la notion de « mêmes mesures » et de « mesures équivalentes ». Le premier terme implique l´application de mesures identiques et donc l´échange automatique d´informations, soit immédiatement soit après une période de transition. La deuxième formule comprend des mesures qui atteignent le même but que la directive communautaire. Ce but, l´imposition effective des revenus transfrontaliers de l´épargne, peut à notre avis également être atteint à travers les solutions (i) à (iii).

Cette thèse présume pourtant que l´impôt anticipé suisse de 35% est jugé comme ayant un effet dissuasif, incitant à déclarer les revenus. Si on remet par contre l´effectivité de l´impôt anticipé en cause, seul un échange d´informations peut être considéré comme »mesure équivalente ».

AVANTAGES ET INCONVENIENTS DES DIFFERENTES SOLUTIONS

Pour évaluer les possibilités présentées ci-dessus, il faut distinguer l´optique de l´UE et celle de la Suisse.

L´UE désire, nonobstant l´adoption de la directive sur la fiscalité de l´épargne, préserver la compétitivité des marchés financiers européens et empêcher un flux de capitaux hors de l´UE. L´échange d´informations, impliquant la levée du secret bancaire, soit pour tous soit seulement pour les non-résidents, présenterait de ce fait la solution idéale. Ainsi, chaque Etat membre connaîtrait le montant des intérêts payés à ses assujettis et pourrait les imposer.

L´introduction d´un impôt à l´agent payeur sur la base d´un traité bilatéral, par contre, ne pourrait pas suffisamment inciter les contribuables à déclarer leurs revenus dans leur pays de résidence. Peut-être préféreraient-t-ils plutôt subir une imposition de 15-20%.

La Suisse, par contre, a d´autres intérêts. Elle cherche une solution facile à mettre en œuvre, tout en sauvegardant le statut de sa place financière.

(i) La solution préconisée par la Suisse, à savoir l´introduction d´un impôt versé à l´agent payeur sur la base d´un traité international, ne requiert pas de modification de la Constitution. L´adoption d´un accord international peut pourtant faire l´objet d´un référendum facultatif. Il suffit que 50.000 votants réclament une votation (art. 141 al. 1 lit. d de la Constitution). Comme la mesure concerne uniquement des personnes non-résidentes, n´ayant pas le droit de vote, et comme les banques soutiennent cette solution, un référendum est peu probable.

Mais le système a aussi des inconvénients. Premièrement, il est assez compliqué et il est suivi d´une procédure coûteuse, répercutée sur les agents payeurs suisses. Deuxièmement, en cas d´une adhésion de la Suisse à l´UE, il y aura un obstacle de plus à surmonter, à savoir que l´UE a exprimé clairement qu´elle n´accepte pas d´exceptions pour les pays candidats actuels. Le système d´échange d´informations fera partie de l´acquis communautaire. Troisièmement, l´introduction de cet impôt à la source pourrait provoquer un départ des capitaux vers des pays hors de l´UE, ce qui dépend aussi du niveau du taux et de l´application territoriale du modèle européen. Quatrièmement, il est concevable que cet impôt à l´agent payeur prélevé uniquement auprès des non-résidents apparaisse comme une discrimination.

Ajoutons, à toutes fins utiles, que si l´impôt à l´agent payeur était aussi appliqué pour des intérêts versés aux résidents et était remboursé lors de la déclaration correcte des revenus, la Suisse aurait peut-être découvert une nouvelle source de recettes fiscales.

(ii) Il n’est pas évident que la Confédération dispose d´une compétence pour l´introduction unilatérale d´un impôt à l´agent payeur sur les revenus de source étrangère. Vu la formulation ouverte de l´article 132 al. 2 de la Constitution, l´on pourrait argumenter qu´un impôt sur les revenus de source étrangère n´est pas exclu, tant que la Suisse partagerait des recettes (sinon il s´agirait d´un impôt définitif). Cette interprétation est cependant controversée par la doctrine. Le Département fédéral des Finances considère que la base légale n´est pas suffisante et qu´il faudrait donc une modification de la Constitution suivie d´un référendum obligatoire.

L´introduction unilatérale d´un impôt à l´agent payeur pour les non-résidents se heurte en outre à la conception suisse de la souveraineté d´imposition, partant du principe de résidence, et au principe de source. Le seul critère de rattachement économique pour l´impôt serait l´agent payeur suisse. De plus, un impôt, perçu seulement pour les intérêts versés aux non-résidents violerait le principe constitutionnel de l´égalité de droit. Le critère de la résidence ne justifierait pas l´introduction d´un impôt selon une loi applicable uniquement aux non-résidents.

En appliquant l´impôt à l´agent payeur aux deux catégories, on aurait des conflits entre la nouvelle loi et la LIA et, pire encore, tout le système fiscal serait bouleversé. Il faut ajouter que des incompatibilités avec les conventions internationales de double imposition se produiraient puisque celles-ci prévoient l´imposition des intérêts de source non-suisse par l´autre Etat.

(iii) L´élargissement de l´impôt anticipé aux revenus de source étrangère versés aux non-résidents par le biais d´une modification de la LIA serait probablement possible selon la formulation ouverte de la Constitution. Mais il se heurte, comme la solution (ii), au principe de la souveraineté fiscale limitée au territoire et au principe de l´égalité. Son application, en particulier le remboursement aux non-résidents après la déclaration des revenus auprès des autorités du pays de résidence, serait compliquée.

De plus, le contrôle serait difficile. La Suisse ne peut pas contraindre un débiteur étranger à appliquer une loi étrangère et infliger une peine comme le prévoit la LIA pour les débiteurs suisses.

Par contre, l´abandon du secret bancaire éliminerait un futur obstacle à une adhésion à l´UE. Simultanément, cette concession de la Suisse provoquerait une réaction positive du côté de l´UE. Sinon, la Suisse serait le « bouc émissaire » pour l´échec de l’adoption du paquet fiscal. Finalement, il ne faut pas oublier que la place financière suisse a d´autres atouts que le secret bancaire.

En résumé, les possibilités (i) et (iv) semblent être les seules réalisables. Les solutions (ii) et (iii) s´opposent totalement à la conception suisse de souveraineté fiscale territoriale.

La levée du secret bancaire deviendra, en conséquence, la question principale. La discussion va être conditionnée par une autre préoccupation de la Suisse. Elle considère que l´application « isolée » du système provoquera un affaiblissement substantiel de la place financière et de l´économie suisse. En raison de la faiblesse du système de l´agent payeur, il est facile de transférer le dépôt de ses avoirs ou de ses titres vers une place financière « offshore » qui n´aura pas adopté des mesures équivalentes.

Ajoutons que toute mesure suisse pourrait être accompagnée par l´élargissement de l´entraide judiciaire aux cas de d’évasion fiscale. Cette modification pourrait avoir un effet préventif; elle inciterait les contribuables à déclarer leurs revenus auprès du fisc.

LA POSITION DE LA SUISSE ET LES NEGOCIATIONS

La Suisse a toujours souligné qu´elle ne veut pas offrir un refuge aux capitaux des contribuables de l´UE désireux d´échapper à la réglementation européenne. Elle subordonne pourtant un accord à une solution mondiale, c´est-à-dire à l´adoption de mesures au moins équivalentes dans les autres places financières importantes (territoires dépendants et associés des pays de l´UE, Etats-Unis, Canada, Singapour, Hongkong, Japon). Elle préconise, pour compléter l´impôt anticipé selon la LIA, l´introduction d´un système d´impôt à l´agent payeur comme décrit ci-dessus (i). Le secret bancaire n´est pas négociable.

Cette position reflète celle des banques. L´Association suisse des Banques soutient la notion d´un impôt prélevé auprès de l´agent payeur. Selon elle, le champ d´application d´un éventuel impôt ne devrait pas être plus large que celui de la directive communautaire. En cas d´introduction, les banques auraient besoin d´une période suffisamment longue pour s´adapter au nouveau système.

Etant donné que dans le cadre des négociations bilatérales I entre l´UE et la Suisse il restait des questions non résolues (« left over »), il a été décidé d’ouvrir rapidement une nouvelle table ronde en vue de lancer de nouvelles négociations. Actuellement, ces nouvelles négociations s´étendent à dix domaines: les fraudes; les produits agricoles transformés; l´environnement; les statistiques; l´éducation/formation/jeunesse; les médias; les pensions; les services; la coopération en matière de justice, de police et de politique d´asile (Schengen/Dublin) et la fiscalité de l´épargne.

La Suisse désire un « résultat équilibré » dans l´ensemble. Elle accorde de l´importance à ce que les négociations soient menées en parallèle. Elle ne veut cependant pas lier les dossiers en un seul paquet comme les accords bilatéraux I. Cette méthode empêche un avancement plus rapide dans les domaines moins problématiques (« early harvest »).

Les mandats de négociations nécessaires ont été adoptés le 27 juin 2001 et le 30 janvier 2002. L´UE a accepté cette approche coordonnée comprenant l´ensemble des dossiers.

En ce qui concerne le dossier de la fiscalité, les négociations sont difficiles. Tandis que la Suisse insiste jusqu´à présent sur le maintien du secret bancaire, il n´est pas certain du tout que l´UE accepte le système de l´impôt à l´agent payeur offert par la Suisse. La Suisse est limitée par la situation politique et la menace d´un référendum en cas d´une levée du secret professionnel. L´UE, de l´autre côté, ne dispose pas non plus d´une grande marge de manœuvre, vu que le Luxembourg et l´Autriche ont clairement annoncé lors du sommet de Feira ne pas accepter la directive au cas où les pays tiers ne donneraient pas leur assentiment à la levée du secret bancaire.

Les contacts de l´UE avec les autres pays tiers (Andorre, Saint-Marin, le Liechtenstein, les Etats-Unis) semblent évoluer. Quelques pays veulent cependant attendre le résultat des négociations avec la Suisse.

CONCLUSION

Le consensus sur le contenu de la future directive communautaire visant à l´imposition effective des intérêts transfrontaliers lors du sommet du Conseil européen à Feira a sûrement débloqué la situation et fait avancer les travaux de l´UE dans la lutte contre la concurrence fiscale déloyale. Il faut cependant se rendre compte que le compromis a été négocié à des conditions sévères. Il dépend de l´adoption des mêmes mesures dans les territoires dépendants ou associés et de mesures équivalentes dans six pays tiers, dont la Suisse.

Or, c´est la signification exacte du terme « mesures équivalentes » qui est controversée. L’interprétation du Luxembourg et de l’Autriche est que les pays tiers doivent mettre en Å“uvre un échange d´informations. Aux yeux des Suisses, la notion n´implique pas un échange d´informations. Trouver un consensus sur ce point est crucial pour l´adoption et le fonctionnement de la future directive. Comme le système de l´agent payeur prévu dans la directive connaît une faiblesse structurelle, à savoir que l´agent payeur peut être transféré facilement dans un pays hors de l´UE et que l´on peut ainsi échapper au champ d´application territorial de la directive, l´UE s´efforce de négocier avec les pays tiers.

Les discussions entre l´UE et la Suisse ont jusqu´à présent démontré qu´il sera très difficile de trouver un accord. Si le Luxembourg et l´Autriche insistent sur un échange d´informations et si la Suisse n´est pas prête à lever le secret bancaire, un échec est probable. Les deux positions sont cependant légitimes et compréhensibles. Le secteur bancaire a une grande importance pour l´économie du Luxembourg et une levée du secret bancaire risque d´engendrer le transfert des fonds de ses clients dans un Etat hors de l´UE. Les pays européens ne faisant pas partie de l´Union, en particulier la Suisse, sont une destination envisageable. Le secret bancaire représente également un atout pour la place financière suisse. C´est pourquoi la Suisse ne veut pas négocier un échange d´informations impliquant la levée du secret bancaire. De plus, le gouvernement suisse est conscient qu´un tel accord avec l´UE fera sûrement l´objet d´un référendum dont le résultat risque être négatif.

La Suisse propose par conséquent l´introduction d´un impôt à l´agent payeur sur les intérêts de source étrangère versés aux personnes résidentes dans l´UE qui, selon elle, représente un moyen efficace pour compléter l´impôt anticipé de 35% sur les revenus de source suisse et ainsi prévenir l´évasion fiscale. Afin d´enquêter sur les cas de fraude fiscale ou de blanchiment d´argent, la Suisse accorde l´entraide judiciaire.

Le secret bancaire suisse va être au cÅ“ur des discussions à venir. Il apparaît que la Suisse est mieux « protégée » en ne faisant pas partie de l´UE, si on compare avec les concessions que le Luxembourg et l´Autriche ont été forcés de faire. La pression sur la Suisse va quand même s’accroître, d´un côté par l´OCDE condamnant l´absence d´un échange de renseignements, de l´autre côté par l´UE. Il est vrai que la Suisse semble avoir remporté une petite victoire dans la mesure où l´UE a consenti à négocier parallèlement dans dix domaines, mais sa position dans les négociations reste difficile.

En considérant que l´impôt anticipé suisse ne provoque pas dans tous les cas un effet dissuasif et qu´il peut être détourné, la Suisse devrait à notre avis envisager une levée du secret bancaire. Cette démarche serait le signe que la Suisse n´est pas prête à offrir un refuge pour l´argent détourné ou sale et ne devrait pas dépendre d´une solution à l´échelle mondiale.

Ce scénario qui contenterait sans doute les attentes de l´UE n´est pourtant pas réaliste. Plus vraisemblable est un blocage des négociations puisque aucun partenaire, conscient des difficultés à l´intérieur de son pays en cas d´un changement d´avis, ne va modifier sa position. Le Luxembourg et l´Autriche d´ailleurs ne seront peut-être pas mécontents d´un échec de la directive sur la fiscalité de l´épargne dont ils ne seraient pas responsables. Rappelons qu´en Autriche la levée du secret bancaire nécessite une modification de la constitution et qu´il est prévu de changer la législation bancaire seulement pour les non-résidents, ce qui pourrait se traduire par une discrimination en fonction de la nationalité.

Est-ce que l´UE aurait pu éviter ces difficultés en choisissant un autre modèle ? Un système basé sur le débiteur payeur rendrait moins nécessaire l´adoption de mesures équivalentes dans les pays tiers, mais aurait eu le désavantage de ne pas imposer les intérêts de source hors de l´UE.

Le modèle de la coexistence prévu dans la directive de 1998 aurait laissé la porte ouverte à une retenue à la source par les pays tiers et ainsi facilité les négociations. Il est possible qu´en cas d´échec de la proposition actuelle, l’ancienne proposition soit remise à l´ordre du jour.

Selon le calendrier relatif au paquet fiscal, les négociations avec les pays tiers auraient dû être conclues en juin 2002 et à la fin de l´année, ce paquet devrait être adopté. Cet agenda risque de ne pas être respecté vu les positions différentes des partenaires à négociation. De plus, la Suisse insiste sur un résultat global équilibré dans les dix domaines négociés, ce qui constitue un obstacle complémentaire à une clôture rapide du dossier de la fiscalité de l´épargne.

Pour l´UE, il est pourtant important de trouver une solution à ce problème avant l´élargissement. Obtenir l´unanimité des 27 Etats membres dans un domaine aussi délicat paraît encore plus difficilement envisageable.

Le volet de la fiscalité de l´épargne va-t-il par conséquent empêcher l´adoption du paquet fiscal ? Si les partenaires ne rapprochent pas leurs positions, une telle crainte pourrait malheureusement s´avérer fondée. l´UE pourrait éventuellement essayer de dissocier les différentes proposition du paquet fiscal et – à tout le moins – adopter la directive sur les intérêts et redevances entre entreprises qui, elle, n´est pas controversée. Une adoption séparée du code de conduite est par contre beaucoup moins probable car elle remettrait en question l´équilibre global du paquet.

Pour parvenir à une solution, il faudrait peut-être en premier lieu changer la règle d´adoption à l´unanimité des mesures fiscales telles qu’elle est prévue par le traité CE.

Peut-être les travaux au sein de l´OCDE auront-ils plus de succès? Peut-être la directive une fois adoptée n´aura-t-elle pas les effets désirés, les contribuables ayant déjà trouvé des échappatoires ?

Une chose est cependant claire: dans les prochaines années, on peut s´attendre à des réflexions sur la légitimité du secret bancaire. A suivre…

 

Kathrin Lanz,
lic.iur., avocate,
LL.M., Berne/CH

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