VERS UN NOUVEL ACCORD ENTRE LA FRANCE ET MONACO


 

 Article publié dans la Revue « Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires » N° 127 (Année 2001)


Les propos outranciers de quelques parlementaires français à l’encontre de la Principauté de Monaco avaient, dans le courant de l’année dernière, jeté le trouble dans les relations franco-monégasques et cela d’autant plus que certaines critiques avaient été reprises, sur un ton certes plus mesuré, par des représentants du Ministère des Finances français.

Pour remédier au climat détestable et dissiper le malentendu ainsi créés, la meilleure chose était certainement de remettre les problèmes à plat et d’entreprendre des discussions sérieuses et professionnelles entre les autorités des deux Etats.

C’est ce qui a été fait, et les négociations qui ont été initiées au début de cette année et qui se sont déroulées dans un climat apaisé ont abouti, courant octobre 2001, à la signature d’un relevé de conclusions qui met les choses au point et relativise le différend qui avait pu exister entre ces deux pays.

En effet, à la lecture des communiqués et des informations qui ont été données par les autorités françaises et monégasques, on ne peut que constater que la montagne a accouché d’une souris, que bien des critiques et des craintes se sont avérées infondées et que les mesures qui ont été annoncées constituent seulement une adaptation de certains des textes existants, sans entraîner aucun bouleversement dans les relations, notamment fiscales et financières entre les deux pays.

LA LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT

Le prétexte qui avait été avancé par certains pour jeter de l’huile sur le feu dans les relations entre la France et la Principauté était le blanchiment d’argent.

C’était oublier les nombreuses dispositions qui ont été prises ces dernières années par la Principauté pour lutter contre le recyclage de l’argent sale, la mise en place à Monaco d’un service destiné à lutter contre ce blanchiment (le SICFIN) et les accords multinationaux ou bilatéraux signés par la Principauté en la matière, comme notamment l’accord avec le TRACFIN, les accords avec la Belgique, l’Espagne, le Portugal, le Luxembourg, la Grande-Bretagne etc…

UN SATISFECIT DONNE A LA PRINCIPAUTE

Or, il apparaît dans le communiqué de presse diffusé par le Ministère des Finances français lui-même à la suite de ce relevé de conclusions que le dispositif de lutte contre le blanchiment à Monaco a été significativement renforcé : les effectifs de l’unité de lutte contre le blanchiment (SICFIN) ont doublé, le nombre de déclarations a sensiblement augmenté, le dispositif a été évalué par l’unité TRACFIN et par le groupe d’action financier international (GAFI) qui a constaté les progrès réalisés par Monaco en matière de lutte anti?blanchiment.

Le Conseiller du Gouvernement pour les Finances et l’Economie de la Principauté a souligné que l’efficacité des dispositions prises par la Principauté a été reconnue par Paris. Même les trusts, source de préoccupation pour le GAFI, s’avèrent bien contrôlés. La Principauté ne s’arrêtera pas là et devrait faire passer l’effectif du SICFIN de 6 à 9 personnes d’ici la fin 2002. La coopération internationale en la matière devrait aussi se renforcer. Un accord pourrait être signé prochainement avec la Suisse. Les récentes enquêtes diligentées à la demande des autorités américaines n’ont pas révélé de comptes anormaux à Monaco et aucun gel de crédit n’a été requis par les autorités de la Principauté. Il est certain cependant que les récents événements peuvent contribuer à perfectionner encore le système et que la Principauté doit rester vigilante. La Principauté vient d’ailleurs de signer la Convention Internationale pour la répression du financement du terrorisme et a déposé les instruments de ratification.

UNE ADAPTATION DE LA REGLEMENTATION FINANCIERE MONEGASQUE

Le Ministre de l’Etat de la Principauté a également indiqué qu’il a été montré que le trust régi par la loi n° 214 constitué généralement par des résidents en Principauté est un instrument contrôlé au regard des risques de blanchiment et que la réglementation financière monégasque venait d’être adaptée, notamment le vote de la loi n° 1245 du 3 juillet 2001 a permis l’introduction du délit d’initié et le renforcement des règles de fonctionnement et de contrôle des sociétés de gestion de portefeuille.

De son côté, le Ministère français a indiqué que la régularisation et la transparence de la place financière de Monaco doivent s’améliorer grâce à l’introduction de la notion du délit d’initié dans la législation monégasque, au renforcement de la coopération avec le TRACFIN et à la réforme de la législation concernant les sociétés de gestion de portefeuille et que les autorités monégasques se sont engagées à limiter la pratique des trusts et à adapter la législation concernant les sociétés de gestion de portefeuille aux recommandations du GAFI.

L’ACTUALISATION DE LA CONVENTION FISCALE DE 1963

Les deux parties se sont également entendues pour une actualisation de la convention fiscale franco-monégasque de 1963 qui ne bouleversera pas l’équilibre de cette dernière.

LA SITUATION FISCALE DES FRANÇAIS RESIDANT A MONACO

Les premières adaptations concernent la situation des français résidant à Monaco.

Les français installés à Monaco depuis 1989 soumis à l’ISF

Les résidents français fiscalement domiciliés en France conformément aux dispositions de l’article 7 de la convention franco-monégasque de 1963 et qui se sont installés en Principauté à partir de 1989 seront assujettis à l’impôt sur la fortune à compter du 1er janvier 2002.

L’année 1989 a été choisie car elle correspond à la réintroduction dans la fiscalité française d’un impôt sur la fortune.

Bien entendu, cette disposition demande d’être précisée, notamment en ce qui concerne la définition du terme « installation ».

Cette mesure va encore pénaliser certains des résidents français en Principauté et accroître la différence de traitement avec les résidents d’autre nationalité, qui ne paient pas d’impôt sur le revenu ou la fortune et cela au détriment de la présence française dans ce pays. En 1962, les français représentaient 60 % de la population de la Principauté. Aujourd’hui, ils en représentent 30 % ; cette diminution est évidemment liée à leur pénalisation fiscale, et ce n’est pas ces nouvelles dispositions qui vont inverser la tendance. Ainsi, la présence française à Monaco ne finit pas de reculer. S’agissant en particulier de l’ISF, il ne faut pas oublier que le prix élevé de l’immobilier en Principauté, fera que le plafond de l’exonération sera facilement atteint et que cet impôt pénalise tout particulièrement les ménages installés en des lieux où l’immobilier et cher, ce qui est évidemment le cas de la Principauté.

Cependant, selon le Ministre de l’Etat, une centaine de foyers seulement devrait être touchée par la nouvelle mesure.

Cette mesure est donc regrettable pour ceux qui en seront les victimes, mais il faut reconnaître qu’elle n’est pas dépourvue de cohérence, car la définition interne française du domicile fiscal est la même en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt sur la fortune et les autorités françaises ont toujours jugé que la définition du domicile fiscal figurant dans les conventions en matière d’impôt sur le revenu devrait également jouer en matière d’impôt sur la fortune, même si la convention ne visait pas expressément ce dernier impôt.

Des réductions d’impôt pour les français résidant à Monaco

En revanche, et c’est beaucoup plus positif, il a été indiqué par les autorités monégasques que les frais de garde d’enfants et d’emploi d’un salarié français fiscalement domicilié en France pourront donner lieu aux crédits, ou aux réductions d’impôt sur le revenu prévus par la législation française. Il s’agit en effet de remédier à une flagrante injustice qui fait que, jusqu’à présent, alors que les français résidant à Monaco mais fiscalement domiciliés en France sont imposés comme les français effectivement résidents dans ce pays, ils ne peuvent pas profiter d’un certain nombre d’avantages fiscaux qui ont été accordés à ceux-ci, notamment de certaines déductions. C’est donc un pas fait dans le bon sens, mais il ne figure pas dans le communiqué du Gouvernement français et sa portée demande à être précisée. Espérons qu’elle sera très large.

UN NOUVEAU DISPOSITIF POUR LA DEDUCTION DES REMUNERATIONS DES DIRIGEANTS AU TITRE DE L’IMPOT MONEGASQUE SUR LES BENEFICES

En ce qui concerne l’impôt monégasque sur les bénéfices, la convention sera modifiée afin de corriger les évolutions anormales dans la déduction des rémunérations des dirigeants de l’assiette de l’impôt. Cette modification paraît logique. En effet, l’inflation qui
a fait rage depuis 1963 et qui n’avait pas été prise en compte dans le mécanisme du plafonnement des déductions, et corrélativement, l’augmentation du salaire de base monégasque ont fini par rendre totalement inopérant le mécanisme du plafonnement tel qu’il avait été prévu en 1963.

LA DEDUCTIBILITE DES HONORAIRES, COURTAGES ET COMMISSIONS

En ce qui concerne la déductibilité des honoraires, courtages et commissions (articles 4 et 8 de la Convention), il a été indiqué par les autorités monégasques que la déductibilité des versements faits par des personnes physiques ou morales imposables en France à des personnes physiques ou morales résidant ou établies à Monaco sera possible à la condition que l’entreprise apporte les justifications nécessaires pour établir que l’acte ou l’engagement lié à ces versements est sincère et qu’il ne peut être considéré comme dissimulant une réalisation ou un transfert de bénéfices.

Aux termes de l’article 4 de la Convention actuellement en vigueur, cette déduction n’est possible qu’à la double condition qu’il n’existe aucun rapport de dépendance entre le bénéficiaire et l’entreprise versante et que cette dernière apporte des justifications suffisantes pour établir que l’acte ou l’engagement en vertu duquel ces versements sont effectués est sincère et ne peut être considéré comme dissimulant une réalisation ou un transfert de bénéfices. La déclaration du Gouvernement Princier signifie-t-elle que la première de ces conditions qui, il est vrai, est redondante, gênante et inutilement sévère sera supprimée ? Souhaitons le car s’il est démontré qu’il n’y a pas transfert de bénéfice, il n’y a aucune raison d’exiger en plus l’absence de lien de dépendance.

LA SITUATION DES MONEGASQUES IMPOSABLES EN FRANCE

En ce qui concerne la situation des ressortissants monégasques imposables en France, il a été convenu que les monégasques résidant en Principauté et exerçant en France une activité professionnelle ou ayant dans ce pays le centre de leurs intérêts économiques ne seraient pas soumis à l’impôt sur les revenus perçus à Monaco sous réserve que ces revenus soient indépendants par rapport à leur activité sur le territoire français. Cette solution qui rejoint celle retenue pour les français dits « privilégiés » est logique : lorsqu’une convention définit le domicile fiscal, cette définition doit prévaloir sur la définition interne. Ainsi, le rattachement du domicile fiscal à la France, du fait de l’exercice d’une activité professionnelle ou de la présence du centre des intérêts économiques dans ce pays, doit être écarté pour les monégasques, comme pour les français, résidant en Principauté.

L’EXONERATION DE L’IMPOSITION SELON LE REGIME DE LA VALEUR LOCATIVE

Dans le même esprit, selon les autorités monégasques, il a été convenu que lorsque des monégasques ou des français non fiscalement domiciliés en France bénéficient de l’exonération de l’imposition prévue à l’article 164-C, leur conjoint en bénéficierait aussi pour la même habitation. Cette solution est parfaitement logique et devrait mettre fin à certains redressements qui avaient été notifiés par les Services Fiscaux français à des conjoints étrangers de français ou de monégasques non fiscalement domiciliés en France mais disposant d’une résidence secondaire dans ce pays.

Il faut rappeler, en effet, que les personnes de nationalité monégasque et les français ayant leur domicile fiscal à Monaco et qui ont la disposition d’une résidence secondaire dans la région française voisine de la Principauté (Région PACA) sont exonérées de l’imposition forfaitaire sur trois fois la valeur locative de cette habitation.

Le principe de l’imposition du foyer fiscal s’oppose d’ailleurs à ce que l’un des conjoints ait un traitement différent de l’autre pour l’application de l’article 164-C.

En revanche, il ne semble pas qu’il ait été question du problème de l’application de l’article 164-C aux personnes de nationalité autre que française ou monégasque résidant en Principauté et disposant d’une résidence secondaire en France, imposition que le Tribunal Administratif de Nice et la Cour Administrative d’Appel de Marseille ont jugé discriminatoire.

COMPTE DE PARTAGE DE LA TVA

En ce qui concerne le compte de partage de la TVA, il apparaît qu’une enquête détaillée réalisée sur la TVA de l’exercice 2000 et sur l’ensemble des acteurs économiques de la Principauté a permis de mieux apprécier le reversement français et de faire apparaître que celui-ci n’était pas indûment exagéré, contrairement à des allégations qui avaient eu cours l’année dernière. Ainsi, le montant obtenu a été validé et si les conditions d’application de la convention seront revues pour permettre que ce reversement se fasse sur une base plus réaliste, laquelle serait indexée chaque année, il n’en résultera pas de changement significatif au niveau de son montant.

ECHANGE D’INFORMATIONS

L’efficacité du dispositif d’échange d’informations entre la France et la Principauté a été admise. Les autorités monégasques se sont engagées à maintenir une telle coopération résultant de pratiques raisonnables constatées dans le passé.

Le communiqué du Gouvernement français précise que les autorités monégasques se sont engagées à améliorer l’échange d’informations avec le Gouvernement français.

* * *

Il est enfin important de noter que, à moins que les compte-rendus donnés par les autorités monégasques et françaises ne soient pas exhaustifs, ce qui est très peu probable, les bruits qui avaient pu circuler au sujet de la remise en cause de certains aspects des relations fiscales et financières franco-monégasques, autres que ceux qui ont été évoqués ci-dessus, se sont avérés inexact. Ainsi, il n’est heureusement pas question de modification apportée à la convention franco-monégasque en matière de droits de succession, ni de toucher aux dispositions fiscales intéressant les sociétés monégasques propriétaires d’immeubles en France.

Bien entendu, la plupart des mesures qui ont été annoncées (notamment celles qui sont favorables aux contribuables et qui ne figurent que dans le compte-rendu du Gouvernement monégasque mais non dans le communiqué plus bref et moins détaillé du Ministère français) devront être précisées, pour qu’il soit possible de mesurer leur signification et leurs conséquences exactes. La plupart d’entre-elles devront nécessairement donner lieu à une révision de la convention franco?monégasque de 1963. Espérons que les textes définitifs seront bientôt rédigés et signés, afin de mettre définitivement un terme à des incertitudes et à des hésitations qui sont toujours préjudiciables et que ces précisions iront dans le bon sens pour les résidents de la Principauté.

En conclusion, il faut souligner que les informations qui viennent d’être données sur l’état des négociations franco-monégasques sont, à plusieurs titres, rassurantes : d’une part, parce qu’elles font état de l’excellent climat dans lequel se sont déroulées ces négociations, d’autre part, parce que les mesures annoncées sont dans l’ensemble équilibrées et raisonnables et enfin, parce qu’elles ne concernent qu’un nombre de points très limité et ne mettent donc pas en cause l’équilibre des relations entre les deux Etats et la situation des personnes intéressées (à l’exception des nouveaux assujettis à l’ISF).

Souhaitons que l’issue des négociations permette, à l’avenir, aux relations franco-monégasques de se poursuivre dans un climat calme et détendu et dans un cadre juridique stable, ce qui sera favorable pour les deux pays, car si la Principauté de Monaco a besoin d’avoir de bonnes relations avec la France, et avec l’Union Européenne, la France a tout intérêt à la stabilité, à la prospérité et à l’attractivité de la Principauté qui constitue un pôle d’entraînement et de développement dont profitent largement la France et en particulier la région française voisine de la Principauté, notamment en termes d’emploi et de revenus.

 

Cabinets FONTANEAU
Paris-Nice-Bruxelles




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