IMPOSER AU VINGT-ET-UNIEME SIECLE : LE COMMERCE ELECTRONIQUE ET LES IMPOTS SUR INTERNET DU POINT DE VUE ALLEMAND, EUROPEEN ET INTERNATIONAL

 


Article publié dans la Revue « Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires » 1999/3


Lorsque l’on parle aujourd’hui d’imposer Internet, on pense au concept de « taxation New Age ». Ce que cela dissimule n’est cependant pas clair. Bien que cette taxation ne semble pas complètement nouvelle, il ne s’agit pas non plus d’un changement d’imposition quelconque ou d’une réforme fiscale, Il est urgent de trouver un système d’imposition adapté à l’ère nouvelle, car les systèmes fiscaux traditionnels ne vont pas longtemps régler tous les problèmes de façon adéquate . La question est de savoir dans quelle mesure la « taxation New Age » doit innover, afin de pouvoir répondre aux besoins du vingt- et-unième siècle. Des problèmes particuliers sont posés aujourd’hui par le commerce électronique. Ainsi, des affaires en rapport avec Internet suscitent de nombreuses questions nécessitant une solution uniforme, ou du moins qui soit coordonnée au niveau européen . Internet est un groupement de nombreux réseaux qui, bien qu’indépendants, sont liés entre eux . Les ordinateurs reliés à ces réseaux peuvent, au moyen de protocoles TCP/IP, communiquer les uns avec les autres. En tant qu’utilisateurs d’Internet entrent en considération l’offreur de services et le destinataire. L’entrée sur Internet est rendue possible par Internet-provider, une forme de service d’accès, ou bien services en ligne . Le commerce sur Internet est en pleine croissance ; les frontières nationales ne jouent plus aucun rôle. La raison en est qu’il n’y a pas, au niveau universel, de loi fiscale uniforme applicable à Internet .

Les entrepreneurs utilisent cette possibilité de façon bien plus poussée qu’avant, et échangent des informations via Internet, télé- shopping ou bien par télépaiement .

Nous envisagerons deux solutions possibles d’imposition sur Internet, à savoir l’élargissement de l’impôt sur le chiffre d’affaires et l’imposition des octets. Suivra la présentation de l’évolution jusqu’à aujourd’hui au niveau européen et international.


La taxe sur le chiffre d’affaires


Le problème

S’il est vrai qu’en Allemagne et, plus généralement, au sein de l’Union européenne, les transactions commerciales sont imposées, le commerce entre l’Allemagne et les USA se règle sans perception de la taxe sur la valeur ajoutée.

Conséquence

Si des droits de douane peuvent être perçus, une imposition sur le chiffre d’affaires n’est cependant pas possible .

Situation actuelle

Un groupe de travail du Ministère des Finances travaille à une proposition pour un programme sur ordinateur de dimension universelle, grâce auquel les impôts sur la valeur ajoutée lors de l’achat dans un pays pourraient être prélevés. Le système pourrait être réalisé par des systèmes de paiement dans lesquels un « impôt d’escompte » serait implanté. Cette procédure est sensée permettre à tous les États membres de l’OCDE de percevoir des impôts sur la valeur ajoutée sur les transactions extérieures .

Situation actuelle en Allemagne

Une distinction doit être faite au préalable, selon que les biens sont ou non livrables par Internet.

Service de l’offrant à l’utilisateur

Détermination de la forme de la transaction dans le cadre de transferts de logiciels au moyen de supports de données

La création d’une taxe touchant la transmission de logiciels a toujours prêté à controverses. Selon l’avis général, la vente de logiciels standardisés et l’actualisation de données (« up-date ») est à entendre comme « livraison » .

Détermination de la forme de taxation des transactions lors de transmission de logiciels normalisés

Pour l’utilisateur d’Internet s’offre une nouvelle forme de rapport aux données, le transfert (« download »). Comme il s’agit pour ces données transférées principalement de logiciels normalisés, la question se pose de savoir si, du côté de l’auteur de l’offre, une livraison ou autre prestation prévaut.

Le transfert de logiciels à titre onéreux par l’utilisateur devait logiquement suivre les mêmes règles que la cession au moyen de supports de données. Par ailleurs, le

problème qui se pose est qu’aucune mise à disposition d’un objet matériel n’est fournie, ce qui est le critère caractéristique fondamental de la préexistence de la prestation .

Il est vrai que, d’après l’article 5 § II de la directive communautaire n° 6, l’électricité, le gaz, l’eau et autres choses semblables sont assimilées à des objets. Les matières citées ont du reste ceci de commun qu’elle sont destinées à un usage unique. Les données mises à disposition par un auteur d’offre peuvent cependant à volonté et à plusieurs reprises être consultées par des utilisateurs différents, être mises en mémoire sur ordinateur particulier et là être utilisées de façon continue.

L’Administration fiscale a, par le décret de la Perception Centrale des Impôts de Coblence, en date du 22.6 1998, pris position sur ce point : il s’agirait là d’une prestation habituelle au sens du § 3 IX de la Loi sur l’imposition du chiffre d’affaires.

Dans le cadre d’une mise à disposition via Internet, on n’ouvre au bénéficiaire de la prestation que la possibilité d’enregistrer le logiciel sur sa propre installation. Par la transmission matérielle du logiciel dans le cadre de la livraison au sens du § 3 1 de la Loi sur l’imposition du chiffre d’affaires au contraire serait procuré au destinataire du service le pouvoir de disposition sur le bien meuble support de données. Dès lors, on se rattache au genre et au comment de la transmission, et non pas aux données elles-mêmes .

Le fait que la fourniture de logiciels par voie électronique soit qualifiée de prestation courante implique que le lieu de la prestation se détermine d’après le § 3a IV n°5, III de la Loi sur l’imposition du chiffre d’affaires, qui soumet le service à l’imposition du territoire national, si elle est fournie à un entrepreneur national (principe du lieu de réception). Pour des prestations à un non entrepreneur ayant son domicile ou sa résidence au sein de la Communauté européenne, le principe du lieu de l’entreprise est, d’après le § 3a alinéa I de la Loi sur l’imposition sur le chiffre d’affaires, applicable .

Vente de marchandises par correspondance

Avec l’offre virtuelle de marchandises et la commande par l’utilisateur, une nouvelle forme de vente est née. Au niveau du règlement de l’imposition sur le chiffre d’affaires, aucune particularité ne s ‘ensuit : il s’agit d’une livraison de marchandises à titre onéreux (§§ 1 I n°1, III 1 de la Lui sur l’imposition du chiffre d’affaires). La livraison est considérée comme accomplie là où elle commence : au siège de l’offrant (§ 3 VI de la Loi sur l’imposition sur le chiffre d’affaires). Lors de livraisons en provenance de l’Union européenne à des non entrepreneurs, un déplacement de lieu dans le pays de destination est possible (§ 3c de la Loi sur l’imposition sur le chiffre d’affaires) .

Services d’accès sur Internet et services en ligne pour le prestataire et l’utilisateur

Tandis que certains services d’accès sur Internet (Internet-provider) mettent à disposition le raccordement au réseau, et l’organisation d’arrière-plan, et déterminent les coûts de communication, les services en ligne permettent à leurs membres d’avoir accès à des informations. Le service aux utilisateurs consiste en la fourniture de l’accès à Internet. Le Service envers les offrants consiste pour l’essentiel dans l’établissement d’un site, et dans la possibilité de publicité et de raccordement à un serveur www. L’imposition de l’activité promotionnelle intervient, d’après le § 3a III 1 de la Loi sur l’imposition du chiffre d’affaires, au lieu de l’entreprise- Le fait de rendre possible l’accès et l’utilisation du réseau est un

service imposable d’après le § 3a IV n° 12 de la Loi sur l’imposition du chiffre d’affaires. La détermination du lieu d’imposition résulte principalement du § 3a de la Loi. Le fait que l’accès au réseau soit permis à des non entrepreneurs engendre une exception. Le lieu de la prestation est alors le territoire national, sur la base du § 1 I de la Loi sur l’imposition du chiffre d’affaires. L’utilisateur allemand particulier est ainsi toujours taxé, soit par un impôt sur le chiffre d’affaires allemand, soit par celui d’un État membre .

Du point de vue international

Les règlements de taxes sur le chiffre d’affaires les plus répandus sont ceux qui s’orientent vers le pays de destination. Le principe du pays de destination requiert ainsi des montants compensatoires par lesquels les exportations sont déchargées de l’impôt sur le chiffre d’affaires national et les importations grevées de ce dernier. Par la suppression des contrôles aux frontières dans le cadre de l’établissement d’un marché intérieur de l’Union, les montants compensatoires doivent actuellement être prélevés au niveau des entreprises. C’est pourquoi la discussion sur les possibilités d’un passage au principe du pays d’origine s’est dernièrement amplifiée . Si la réglementation de l’imposition sur le chiffre d’affaires devait aussi être appliquée aux transactions en ligne, le but visé se heurterait à des complications quant à la méthode. On ne peut pas exactement établir l’identité et la nationalité de l’acheteur. Il y a deux possibilités d’identifier l’acheteur dans le réseau : par le suivi rétrospectif du parcours de livraison et lors du paiement.

Le parcours de livraison

Le but de la livraison est déterminé par une adresse électronique claire. Par l’indication de la suite de signes on ne peut pas toujours déterminer le pays. L’indication de l’adresse délimite toujours, d’un point de vue technique, une partie du réseau au sein d’lntemet. Si l’ordinateur est relié à un grand service en ligne de dimension internationale, comme Compuserve, AOL ou bien Wanadoo qui, d’un point de vue technique, représente une partie du réseau, son adresse électronique est attribuée de façon dynamique. En effet, les brèves adresses électroniques peuvent être utilisées par plusieurs clients du service en ligne. Par ailleurs, le même ordinateur de destination peut avoir une adresse électronique différente selon les moments. S’ajoute à cela qu’il est possible de cacher volontairement l’identité de l’acheteur par l’utilisation d’adresses e-mail anonymes. En résumé : le parcours de livraison ne peut pas toujours être établi .

Le paiement

L’identification de l’acheteur lors du paiement est aussi difficile. Sur Internet, il y a plusieurs possibilités de paiement, comme les cartes de crédit ou bien le cash électronique. Tous les systèmes de paiement cependant aspirent à des procédures anonymes pour des raisons de protection des consommateurs .

Passage au principe du pays d’origine

Par un tel passage au principe du pays d’origine entrerait en considération une imposition au lieu de production de la prestation ou du siège de l’entreprise. La détermination du chiffre d’affaires au lieu du prestataire national, c’est-à-dire du serveur national, serait facilement possible par un contrôle de la facture. Du reste, le danger existe d’un

déplacement de l’offre- Internet à l’étranger déchargé d’impôt. Une deuxième possibilité, celle de soumettre les entreprises, à partir de leur siège, à l’impôt sur le chiffre d’affaires ne présente aucune difficulté d’identification. A l’entreprise ne reste que la possibilité de fuir devant l’impôt par un déplacement du siège de l’entreprise dans des pays à plus faibles taux d’imposition .


L’imposition des octets


  Une deuxième possibilité d’imposition des transactions sur Internet est l’introduction d’un impôt sur les octets. L’État pourrait alors, pour chaque octet utilisé sur Internet, prélever un impôt. Les représentants d’une telle solution estiment qu’ils tiendront ainsi mieux compte de l’importance du courant d’informations qu’au moyen de l’imposition des coûts de télécommunication. L’imposition des octets serait par ailleurs une sorte d’impôt d’orientation en vue d’une réduction de l’encombrement ou du rejet de données.

Toutefois, un impact négatif prédomine. La masse de données ne peut être un indicateur. Un ensemble de données visuelles ou sonores requiert, pour des raisons techniques, plus d’octets en comparaison qu’un simple texte, ce dernier ayant pourtant clairement plus de contenu informatif. Seraient ainsi concernées les utilisations de multi-médias à ensembles de données très denses, et un des centres d’innovation dans le développement de la technique de l’information. Imposer les octets engendrerait une dégradation de la capacité concurrentielle européenne .

Une autre conséquence de cet imposition serait par ailleurs une différence de traitement entre commerce électronique et commerce traditionnel . La seule solution adéquate est alors une réglementation au niveau européen ou mieux international.  


Évolution jusqu’à présent au niveau européen et international


Une conférence ministérielle a eu lieu du 6 au 8 juillet 1997 à Bonn, dont le but était la création de conditions-cadres avantageuses pour l’échange commercial électronique. Un accord fut convenu sur le fait qu’à l’égard du système d’imposition la sécurité juridique est requise. Étant donné que des impôts indirects déjà existants valent aussi pour le commerce électronique, l’introduction d’une imposition des octets n’est pas nécessaire, ce qui permettrait d’éviter une imposition discriminatoire des transactions réglées électroniquement .

La collaboration convenue lors de la conférence de Bonn a été poursuivie dans le cadre de l’OCDE à Ottawa, cette dernière faisant suite à la Conférence de Turku en Finlande, en date des 19-21 novembre 1997, où ont été discutés les principes fondamentaux du commerce électronique. A Turku, il a été clair qu’impôts et droits de douane nécessitent l’intervention étatique .

Les ministres des pays de l’OCDE se sont réunis à Ottawa du 7 au 9 octobre 1998 afin de parler du commerce électronique. Les participants ont convenu que le dialogue social et la coopération entre tous les acteurs représentés à la conférence seront essentiels pour l’élaboration des principes qui régiront le commerce électronique, que les mesures prises dans les divers secteurs devront être compatibles.

En ce qui concerne le rapport « conditions cadres pour l’impositions du commerce électronique », qui énonce les principes fiscaux devant s’appliquer au commerce électronique et qui précise les conditions ayant fait l’objet d’une entête, déterminant aussi un cadre en matière de fiscalité, les ministres ont approuvé les propositions sur la façon de donner suite aux travaux exposés dans le rapport. Les principes fiscaux qui guident les gouvernements dans le contexte du commerce ordinaire doivent aussi s’appliquer au commerce électronique. Les gouvernements croient qu’à ce stade de l’évolution du contexte technologique et commercial, les règles fiscales actuelles permettent la mise en oeuvre de ces principes. Les intervenants sont par ailleurs convenus que les taxes à la consommation devraient être perçues dans le pays où la consommation a lieu.


Conclusion


D’un côté certains optent pour une solution extrême, et sont d’avis que le commerce électronique doit être totalement défiscalisé. Une défiscalisation créerait des conditions inégales, discriminatoires pour le commerce classique. Cela nuirait au principe d’égalité et il en résulterait de graves distorsions économiques sur le marché.

D’un autre côté, on préconise de nouvelles taxes spécialisées pour le commerce électronique. L’idée de taxe à l’octet est source d’incertitudes pour tous. L’OCDE a constaté que les projets de taxe à l’octet reposent sur des concepts erronés et sont irréalisables.

La solution est médiane : c’est la neutralité.

L’idée directrice qui prévaut est que le commerce électronique devrait être assujetti aux impôts en vigueur dans la même mesure que le commerce classique .

Wiss. Mit. Nina Marx

Georg-August-Universität Göttingen

Les commentaires sont fermés.