Article publié dans la Revue « Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires » 1998/2 Â
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Pierre FONTANEAU |
Henri FONTANA |
Professeur Agrégé des Facultés |
Avocat au Barreau de Nice |
de Droit et de Sciences Economiques |
Ancien Assistant à la Faculté |
Avocat à la Cour d’Appel de Paris |
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LES INCIDENCES FISCALES DE L’EXERCICE
D’UNE ACTIVITE PROFESSIONNELLE EN FRANCE
LA LOCALISATION DU DOMICILE FISCAL
En vertu de l’article 4B-1 du C.G.I., doivent être considérées comme ayant leur domicile fiscal en France, les personnes qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu’elles ne justifient que cette activité est exercée à titre accessoire.
Pour les salariés, le domicile est fonction du lieu où ils exercent effectivement et régulièrement leur activité professionnelle.
Lorsque le contribuable exerce simultanément plusieurs professions ou la même profession dans plusieurs pays, l’intéressé est considéré comme domicilié en France s’il y exerce son activité principale, c’est-à -dire celle à laquelle il consacre le plus de temps effectif, même si elle ne dégage pas l’essentiel de ses revenus.
Dans l’hypothèse où un tel critère ne peut être appliqué, il convient, selon l’Administration, de considérer que l’activité principale est celle qui procure à l’intéressé la plus grande part de ses revenus mondiaux.
Ainsi, aux termes de la loi interne française, l’exercice d’une activité professionnelle en France ou lorsque la personne intéressée exerce une activité professionnelle dans plusieurs pays, l’exercice de l’activité professionnelle principale en France, attrait le domicile fiscal de l’intéressé en France et a pour conséquence son imposition sur son revenu mondial.
Cependant, les conventions internationales de double imposition peuvent faire échec aux critères de territorialité ainsi posés par la loi française.
La quasi totalité des conventions internationales de double imposition, et notamment celles qui suivent le modèle de l’OCDE, stipulent qu’une personne est un résident de l’Etat où elle dispose d’un foyer d’habitation permanent. C’est seulement si elle dispose d’un foyer d’habitation permanent dans les deux Etats signataires de la Convention qu’elle est considérée comme un résident de l’Etat avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (centre des intérêts vitaux).
Le lieu d’exercice d’une activité professionnelle peut certes être pris en considération pour localiser le centre des intérêts vitaux, puisqu’il crée des liens économiques, mais en règle générale, les liens personnels sont privilégiés par rapport aux liens économiques.
Ainsi, une personne qui exerce une activité professionnelle en France, même s’il s’agit de son unique activité professionnelle, peut très bien, au regard des conventions internationales, avoir son domicile fiscal dans un autre pays, si notamment sa femme et ses enfants résident habituellement dans cet autre pays.
Dans un tel cas, elle n’est imposable en France que sur ses revenus de source française, tels qu’ils sont définis par la convention applicable.
En effet, la plupart des conventions réserve le droit d’imposer les traitements et salaires à l’Etat où est exercée l’activité rémunérée. Il existe cependant des exceptions pour les emplois de courte durée ainsi que pour les travailleurs frontaliers, c’est-à -dire pour les personnes travaillant en France qui habitent dans un Etat étranger, mais dans une zone proche de la frontière française qui est généralement définie de manière très précise par les accords internationaux.
Mais, même dans un tel cas, l’application des conventions internationales n’aura pas généralement pour effet de priver la France du droit d’imposer ses salaires de source française.
L’IMPOSITION DES REVENUS DE L’ACTIVITE PROFESSIONNELLE
De plus, les conventions internationales ne font généralement pas obstacle à la méthode particulière d’imposition des salaires perçus par un non-résident, c’est-à -dire à la retenue à la source qui doit être prélevée par l’employeur et reversée au Trésor Public. Le mode de calcul et de paiement de l’impôt est d’ailleurs généralement plus favorable à l’intéressé que le droit commun.
Le problème de la territorialité, en ce qui concerne l’imposition des salaires, apparaît donc comme relativement simple et c’est pourquoi sans doute il a donné lieu à peu de contentieux et donc à peu de jurisprudence.
Cependant, cette simplicité est parfois trompeuse et l’Administration des Impôts a quelquefois le tort d’adopter une attitude elle-même simplificatrice. Auquel cas, le contribuable intéressé ne doit pas hésiter à exercer les voies de recours prévues par la loi.
LA TERRITORIALITE DES PRIMES DE TRANSFERT
 Il est, en effet, des cas où le rattachement d’un revenu à l’exercice d’une activité professionnelle effectuée en France n’est pas aussi évident. C’est notamment le cas en ce qui concerne les revenus des artistes et des sportifs, compte tenu des conditions particulières d’exercice de ces activités et de certaines formes spécifiques de rémunération.
En particulier, une prime de transfert perçue par un joueur qui quitte un club étranger pour rejoindre un club français est-elle une rémunération imposable en France ? La réponse à cette question dépend de l’analyse juridique des relations contractuelles qui ont été à l’origine du paiement de cette prime.
Un jugement rendu par le Tribunal Administratif de Paris et contre lequel l’Administration des Impôts n’a pas exercé de recours est, à cet égard, particulièrement intéressant et doit faire jurisprudence.
L’intéressé est un sportif de haut niveau qui avait été transféré d’un club étranger à un club français. En raison de ce transfert, le club étranger avait reçu une importante indemnité de la part du club français et en avait reversé une partie à son joueur, avant même que celui-ci ne quitte son club d’origine et ne vienne s’établir en France.
Lorsque le joueur avait reçu cette prime, il était toujours sous contrat avec son club d’origine et le contrat avec le club français n’était pas encore entré en vigueur. Il n’avait donc pas commencé à exercer effectivement une activité professionnelle en France et n’était pas devenu résident français.
Malgré tout, le fisc français avait cherché à rattacher la prime perçue par le joueur au contrat conclu par celui-ci avec son nouveau club et non au contrat qui le liait au club étranger. Selon l’Administration, la
prime reçue par le joueur, entrait dans la catégorie des « appointements, traitements, salaires, gratifications ou autres émoluments ainsi que tous les avantages analogues » et se rattachait au nouveau contrat et non à l’ancien, car elle aurait constitué une prime d’engagement. Cette prime aurait donc été la contrepartie du contrat passé avec le club français pour une activité devant être exercée en France.
A l’appui de cette argumentation, l’Administration faisait valoir que le sportif avait lui-même négocié son transfert à un club français et donc participé à la détermination de l’indemnité qui serait versée au club étranger, dont une partie lui serait reversée sous forme de prime. Il était donc le bénéficiaire du produit de la négociation.
Une telle argumentation, si elle n’était pas dépourvue de sens du strict point de vue économique, était exagérément simplificatrice, et surtout manquait de fondement en droit.
En effet, aucun accord contractuel signé entre le joueur et le club français ne faisait obligation à celui-ci de verser au joueur une prime de transfert. Bien plus, le contrat conclu entre le club français et le club étranger ne prévoyait nullement qu’une partie de l’indemnité de transfert serait reversée au joueur.
Le versement de la prime de transfert ne trouvait donc son fondement juridique ni dans le contrat entre le joueur et son nouveau club, ni dans le contrat entre les deux clubs, mais seulement dans le contrat passé entre le joueur et son ancien club, c’est-à -dire dans un contrat passé à l’étranger entre deux parties toutes les deux étrangères.
C’est bien ce contrat qui prévoyait qu’au cas où l’indemnité de transfert serait supérieure à un montant convenu entre le club étranger et son joueur, l’excédent serait reversé au joueur à titre de prime.
Bien sûr, cette stipulation constituait un incitant puissant pour que le joueur négocie, de la manière la plus avantageuse possible pour son ancien employeur, son transfert dans un nouveau club. Mais elle ne créait pas un lien juridique entre le nouveau club et le joueur en ce qui concerne le versement d’une prime.
Le principe ni le montant d’une prime de transfert au joueur n’ont jamais été discutés ni entre les deux clubs ni entre le joueur et le club français. Les modalités du transfert et le paiement d’une indemnité au club qui laissait partir son joueur avaient été déterminés conformément aux règles posées par l’organisation sportive internationale qui avait autorité en la matière.
C’est cette analyse juridique, et non celle de l’Administration, qui a été retenue par le Tribunal Administratif de Paris.
Selon le Tribunal, dès lors qu’il résulte des circonstances que la prime a été versée en application d’engagements contractuels liant le joueur avec son ancien club, et hors de toute intervention du nouveau club, que, dans ces conditions, c’est à tort que l’Administration a assimilé ladite somme à un revenu provenant d’un travail dépendant imposable en France en vertu des dispositions de la convention fiscale applicable en l’espèce, il y a bien à accorder la décharge de l’imposition.
Cette décision, qui ne peut être qu’approuvée, a notamment le mérite de rappeler que l’imposition d’un revenu doit se fonder sur une analyse juridique précise des relations contractuelles qui ont été le fondement de ce revenu et ne saurait se fonder sur une analyse économique et factuelle d’ailleurs discutable.
Le rappel de ce principe doit inciter les étrangers, et notamment les sportifs, qui envisagent de venir se produire en France, à réfléchir sur les modalités juridiques qui organiseront ou accompagneront leur transfert en France, afin d’éviter en toute légalité des charges fiscales et sociales particulièrement lourdes.
Il ne faut cependant pas oublier que les constructions juridiques qui, bien qu’apparemment régulières, ne traduisent pas le véritable caractère des opérations réalisées, tombent sous le coup de l’abus de droit et ne sont pas opposables à l’Administration fiscale. Sont aussi visés, non seulement les actes à caractère fictif mais aussi ceux qui ne peuvent s’expliquer que par la volonté d’atténuer ou d’éluder l’impôt normalement impliqué par la situation du redevable.
Mais la théorie de l’abus de droit n’interdit pas au contribuable de choisir, entre plusieurs solutions légales de retenue, celle qui est la moins onéreuse sur le plan fiscal, dès lors que les actes juridiques traduisent bien les rapports de droit et de fait entre les parties.
Dans l’affaire ci-dessus exposée cette condition était totalement remplie. L’Administration n’avait d’ailleurs jamais évoqué l’abus de droit.
Bien entendu, ce qui est vrai pour les sportifs arrivant dans un club français l’est également pour le sportif quittant un club français pour rejoindre un club à l’étranger.
Le caractère de plus en plus international des carrières sportives et la lourdeur des prélèvements fiscaux et sociaux en France sur la rémunération des sportifs, comme d’ailleurs sur tous les revenus professionnels tant soit peu élevés, rend cette question particulièrement d’actualité.