Article publié dans la Revue « Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires » 1997/4
Christian FOURNIER
Avocat au Barreau de Nice
Les actionnaires de la société anonyme ne faisant pas d’appel public à l’épargne sont réunis au moins une fois par an pour se prononcer, au sein de l’assemblée générale ordinaire annuelle, sur l’approbation des comptes sociaux du dernier exercice clos.
L’objet des développements qui suivent est de déterminer l’étendue des pouvoirs des actionnaires à cette occasion. Le terme «  d’approbation » des comptes doit-il être interprété de manière restrictive ou extensive ? L’assemblée générale ordinaire annuelle est-elle une chambre d’enregistrement des opérations comptables, financières et juridiques de l’exercice. Ou bien, dispose-t-elle, en plus de son pouvoir de sanction de la gestion comptable, financière et juridique de l’exercice écoulé, d’un pouvoir critique de régularisation, voire de modification, des documents, actes et résolutions qui sont soumis à son vote ?
Quelles sont l’utilité et la portée des opérations de préparation des bilans, annexe et compte de résultat, de rédaction du rapport de gestion par le Conseil d’administration, d’élaboration des rapports du ou des commissaires aux comptes, de convocation des actionnaires, de réunion et de tenue de l’assemblée générale, de rédaction du procès-verbal d’assemblée, de publications et publicités, de déclarations fiscales ? Ne sont-elles qu’un formalisme ou un élément nécessaire à l’expression de la démocratie dans la société anonyme ?
En somme, l’assemblée générale ordinaire annuelle d’approbation des comptes peut-elle modifier les comptes élaborés par les organes de direction de la société, et dispose-t-elle du pouvoir de modifier ce qu’elle a, elle-même, voté précédemment ?
Mais encore, le pouvoir de modification des comptes reconnu à l’assemblée des actionnaires, peut-il avoir des effets secondaires ?
CONDITIONS DANS LESQUELLES L’ASSEMBLEE GENERALE ORDINAIRE ANNUELLE PEUT MODIFIER LES COMPTES SOCIAUX
La détermination des conditions dans lesquelles l’assemblée générale ordinaire annuelle peut modifier les comptes et résolutions soumis au vote des actionnaires impose, dans un premier temps, d’apprécier les pouvoirs de l’assemblée général ordinaire des actionnaires en matière de modification des comptes sociaux.
Puis, dans un second temps, les votes étant délimités par un ordre du jour déterminé, il conviendra de vérifier si les résolutions portant modification des comptes, proposées par les actionnaires durant le cours de l’assemblée, peuvent être votées lors de cette même assemblée.
POUVOIRS DE L’ASSEMBLEE GENERALE ORDINAIRE ANNUELLE LORS DE L’APPROBATION DES COMPTES
L’assemblée générale ordinaire a seule compétence pour exprimer la volonté du corps social tout entier, donc de la personne morale qu’est la société à compter de son immatriculation (Lacour et Bouteron, Droit commercial, 3ème édition, 1925). Aucune autorité ne lui est supérieure dans la société, les membres du conseil d’administration, du directoire, du conseil de surveillance, les commissaires aux comptes ne sont que des mandataires investis d’un pouvoir temporaire et révocables. Les décisions de l’assemblée générale ordinaire s’imposent tant aux actionnaires, qu’aux organes de direction de la société.
L’assemblée générale ordinaire dispose du pouvoir de prendre toutes décisions relatives aux affaires sociales. Ses autres pouvoirs se définissent par exclusion, à savoir tous ceux qui ne sont pas attribués exclusivement à l’assemblée générale extraordinaire (article 155 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966).
Il sera donc intéressant de déterminer les pouvoirs de l’assemblée générale ordinaire en matière de modification des comptes.
Quelle est l’étendue de son pouvoir de modification des comptes de l’exercice dans l’hypothèse d’une résolution dont les actionnaires auraient l’initiative ?
Quels sont ses pouvoirs de modification des comptes de l’exercice dans l’hypothèse du vote d’une résolution inscrite à l’ordre du jour par l’auteur de la convocation ?
Enfin, quels sont ses pouvoirs de modification des comptes d’un exercice antérieur ?
Etendue du pouvoir de modification des comptes de l’exercice par une résolution dont les actionnaires auraient l’initiative
La jurisprudence (Trib. de Douai 23 avril 1932 ; Cass. req. 23 juin 1926), approuvée par la doctrine (Houpin et Bosvieux, Traité des sociétés n° 123-1), a apporté quelques précisions quant à l’étendue des pouvoirs de l’assemblée générale ordinaire. Elle a, déjà sous le régime antérieur à la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, consacré le droit, pour l’assemblée des actionnaires, d’apporter aux comptes les modifications que celle-ci pouvait juger utiles.
Selon Monsieur Houin (RTD com. 1972, p 118) la même solution semble s’imposer sous le régime de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966. La jurisprudence adoptée sous le régime de la loi du 24 juillet 1867 a, en effet, été implicitement reconnue par la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966. La nouvelle législation n’a, en effet, prévu aucun texte contraire à cette jurisprudence, et notamment aucun texte portant des dispositions de nature à interdire à l’assemblée des actionnaires de modifier les comptes annuels.
La loi ne prévoyant aucune limitation expresse au pouvoir de l’assemblée ordinaire des actionnaires en matière de modification des comptes sociaux, des actionnaires ont élaboré et voté en assemblée des résolutions modifiant les comptes de l’exercice. Des actionnaires opposants, ou des dirigeants de société, s’en sont émus et ont saisi, par l’intermédiaire de leur élu, le ministre de la Justice.
Deux Réponses ministérielles, du ministre de la Justice (Quest. n° 20610, J. Off. Ass. nat., 15 janvier 1972, p. 106 et Quest. n° 20513, J. Off. Ass. nat., 15 janvier 1972, p. 105) font connaître la position de la chancellerie sur l’étendue du pouvoir de l’assemblée générale ordinaire en matière de modification des comptes de l’exercice. Les deux Réponses ministérielles portent sur des problèmes similaires, et nous ne nous référerons qu’à celle qui apporte les informations les plus développées.
La première Réponse ministérielle a été suscitée par Monsieur le député Henri Arnaud qui interpelle le ministre de la justice sur deux limitations éventuelles au pouvoir de modification des comptes de l’exercice par l’assemblée générale ordinaire.
La première limitation envisagée par le parlementaire découle des dispositions de l’article 341 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, dont le texte, avant sa modification de 1983, précisait que «  le compte d’exploitation générale, le compte de pertes et profits et le bilan sont établis à chaque exercice selon les mêmes formes et les mêmes méthodes d’évaluation que les années précédentes « . La nouvelle version du texte diffère peu sur le fond et précise que si «  des modifications interviennent dans la présentation des comptes annuels comme dans les méthodes d’évaluation retenues, elles sont de surcroît signalées dans le rapport de gestion et, le cas échéant, dans le rapport des commissaires aux comptes « .
Monsieur le ministre répond que l’obligation d’établir les bilans selon les mêmes formes et méthodes que les années précédentes ne s’impose qu’au conseil d’administration qui, en application des dispositions de l’article 340 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 doit, à la clôture de chaque exercice, dresser l’inventaire, les comptes annuels et établir un rapport de gestion écrit.
L’objet de cette obligation est d’offrir aux actionnaires une présentation claire des résultats financiers de la société pour leur permettre de se prononcer en connaissance de cause sur la régularité des comptes. Ce texte ne peut servir à limiter le droit de vote des actionnaires réunis en assemblée générale ordinaire.
Le ministre de la Justice voit une confirmation de son affirmation dans le texte de l’article 439 ancien de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 qui ne sanctionnait pénalement que le président, les administrateurs ou les directeurs qui n’auraient pas employé, pour l’établissement de l’inventaire, des comptes annuels et du rapport de gestion, les mêmes formes et les mêmes méthodes d’évaluation que les années précédentes, sans qu’une sanction ne soit prévue pour les actionnaires.
Les actionnaires ne sont donc pas liés par les obligations édictées par l’article 340 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966. Le nouveau texte de l’article 439 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, issu de la loi n° 84-148 du 1er mars 1984, envisage désormais des sanctions contre les dirigeants de la société uniquement pour défaut d’établissement des documents susmentionnés. La référence aux formes et méthodes d’évaluation pratiquées les années précédentes a ainsi disparu.
La seconde limitation au pouvoir de modification des comptes par l’assemblée générale ordinaire envisagée par le parlementaire, s’appuie sur la mission des commissaires aux comptes de la société.
L’honorable parlementaire fait remarquer qu’une modification des comptes sociaux par l’assemblée des actionnaires interdit aux commissaires aux comptes d’exercer leur contrôle.
Le ministre de la Justice répond que l’article 228 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, dont le texte a depuis quelque peu évolué pour s’adapter au nouveau plan comptable, ne peut constituer un obstacle au pouvoir de l’assemblée général ordinaire. Par leur mission de contrôle, les commissaires aux comptes certifient que les comptes sociaux sont réguliers, sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l’exercice écoulé. Cette mission n’a que pour objet d’assurer les actionnaires qu’ils se prononcent sur des comptes certifiés par un expert indépendant et compétent. L’exercice de cette mission ne doit pas avoir pour effet d’interdire aux actionnaires d’ouvrir un débat sur les comptes sociaux.
Les deux limitations au pouvoir de modification des comptes sociaux, par les actionnaires réunis en assemblée générale ordinaire, sont donc écartées par le ministre de la Justice.
Pouvoirs de l’assemblée générale ordinaire en matière de modification des comptes de l’exercice par le vote d’une résolution inscrite à l’ordre du jour par l’auteur de la convocation
La doctrine s’est penchée sur les hypothèses de faits nouveaux intervenus postérieurement à la date de clôture de l’exercice, mais ayant des incidences sur les comptes de l’exercice clos. Il peut notamment s’agir de la remise en cause d’exonérations dont la société aurait bénéficié, l’obligeant ainsi à constituer une provision.
L’ordre des experts-comptables et comptables agréés s’est prononcé sur ce cas de figure (Recommandation n° 12 de mai 1982) en conseillant aux dirigeants de la société de prendre en compte les événements significatifs lorsqu’ils sont d’une gravité exceptionnelle, même lorsque les comptes ont déjà été arrêtés. Les dirigeants de la société pourraient soumettre au vote des actionnaires une proposition de modification des comptes. La recommandation précise que, dans cette hypothèse, des «  réviseurs » doivent s’assurer que les actionnaires auront été informés de façon adéquate.
La communication de l’association nationale des sociétés par actions des mois de septembre et octobre 1992 (n° 2609, p. 2), évoque également ce cas de figure et prévoit «  dans des circonstances exceptionnelles « , l’ajustement des comptes pour prendre en considération des événements apparus après l’arrêté des comptes.
Nous pouvons ainsi constater que, tant la jurisprudence que la doctrine, reconnaissent à l’assemblée ordinaire des actionnaires le pouvoir de modifier, durant la séance, les comptes sociaux qui leur sont soumis, la modification pouvant être votée sur l’initiative des actionnaires ou sur l’initiative des dirigeants sociaux.
Qu’en est-il des comptes approuvés par une assemblée antérieure ?
Pouvoirs de l’assemblée générale ordinaire en matière de modification des comptes d’un exercice antérieur
L’assemblée ordinaire des actionnaires peut, ne se limitant plus à la modification des comptes sociaux soumis à son approbation, également envisager la rectification ou l’annulation de décisions antérieures.
La jurisprudence s’est prononcée sur cette question pour des résolutions ayant des objets différents, et notamment, sur des résolutions portant modification des bilans. La Cour de cassation a jugé que «  le principe de l’annualité du bilan ne s’oppose pas à ce qu’une assemblée générale d’actionnaires modifie le bilan d’un exercice antérieur ou révise la valeur qu’avaient les éléments d’actif à la fin de cet exercice, alors que ces modifications n’ont pour but que d’assurer l’exactitude et la sincérité du bilan. » (Cass. Requêtes 22 juin 1926 – D.P. 1927.1.117).
La modification d’une décision prise par une assemblée antérieure peut être adoptée sous deux réserves (Bulletin des Commissaires aux comptes 1980, n° 37, mars 1980, p. 96 et suivantes). La résolution votée doit, premièrement, concerner une décision qui n’a encore reçu ni publicité, ni commencement d’exécution (Trib. com. Lyon, 20 octobre 1902 ; Paris 20 décembre 1948 ; Paris 25 chambre A, 28 mars 1989). La résolution votée doit, deuxièmement, préserver les droits acquis des actionnaires. La jurisprudence a notamment refusé à une assemblée d’actionnaire de rapporter la décision d’une assemblée générale précédente qui avait proposé une distribution de dividendes, même si ces dividendes n’avaient pas été effectivement répartis entre les associés (Trib. com Seine, 4 mars 1933).
Selon Monsieur Colin («  La faculté pour une assemblée générale d’actionnaires d’annuler les décisions d’une assemblée précédente, Rev. Trim. du droit des sociétés et du droit financier, 1937, p. 149 et suivantes) «  les assemblées générales … disposent d’une véritable souveraineté ; il n’est pas d’entraves que le pacte social ou les résolutions antérieures apportent à l’exercice de leur pouvoir « . L’auteur poursuit en précisant que «  l’existence de résolutions antérieures est sans influence sur le pouvoir d’une assemblée. Les limites ou les obstacles que rencontrent la versatilité ou les revirements nécessaires à la volonté sociale ne tiennent pas … à l’existence d’une décision antérieure. Qu’ils proviennent des droits acquis des tiers ou des dispositions légales réglementant les manifestations des organes sociaux, rien ne permet d’en conclure que la volonté sociale n’a pas la même autonomie que la volonté des personnes physiques « . Il conclut sur la constatation qu’il n’a trouvé dans les droits des tiers et ceux des associés «  aucun élément qui permette de soutenir que les assemblées soient liées par leurs décisions antérieures « . Il en résulte qu’une assemblée pourrait «  modifier les postes d’un bilan précédemment approuvé « .
Une certaine doctrine et quelques décisions de jurisprudence apportent des tempéraments à ce pouvoir reconnu à l’assemblée des actionnaires, lorsque la modification concerne des décisions de gestion.
Selon un courant d’opinion qui se fonde sur le texte de l’article 541 du Code de procédure civile ancien, une assemblée générale ordinaire ne pourrait réviser les comptes approuvés par une précédente assemblée qu’en cas d’erreurs, omissions, faux ou doubles emplois.
Messieurs Houpin et Bosvieux écrivent que «  l’inventaire, lorsqu’il a reçu l’approbation de l’assemblée générale, est assimilable à un arrêté de compte. Il y a donc lieu de lui appliquer l’article 541 du Code de procédure civile, aux termes duquel il ne peut être procédé à la révision d’aucun compte que s’il y a erreurs, omissions, faux ou doubles emplois » (Traité général des sociétés civiles et commerciales, T. II, n° 1231). Cette position est partagée par Messieurs de Juglart et Ippolito qui écrivent que les comptes, une fois approuvés ne peuvent être révisés par la suite qu’en cas d’erreurs, d’omissions, de faux ou doubles emplois (Droit commercial, 2ème volume. Les sociétés commerciales, éd. Montchrestien, n° 790).
Cette opinion s’appuie sur une jurisprudence ancienne, selon laquelle l’assemblée générale des actionnaires est autorisée à «  relever et rectifier les inexactitudes contenues dans un bilan antérieur » (Paris, 19 mars 1890 – J. soc. 1891.478). Ou encore, l’assemblée générale des actionnaires est autorisée à réviser des comptes approuvés par l’assemblée générale ordinaire si cette révision est justifiée «  par des erreurs, omissions, faux ou doubles emplois » (Lyon, 3 décembre 1925 – J. soc. 1927, p. 351). Et enfin, l’assemblée générale des actionnaires est autorisée à rectifier les «  décisions antérieures en cas d’erreurs graves commises dans l’établissement des bilans » (Douai, 26 juin 1930 – J. soc. 1932, p. 348 ; Douai, 23 avril 1932 – J. soc. 1933, p. 487).
L’assimilation de l’approbation des comptes à un arrêté des comptes établi entre deux parties semble, à certains auteurs, abusive. L’établissement des comptes est un acte unilatéral, soumis à l’approbation de l’assemblée générale ordinaire qui conserve toujours, en fonction de sa nature spécifique, la possibilité de revenir sur une décision antérieure. Ce pouvoir s’exerce dans la limite du respect des droits acquis et de l’absence de publicité ou d’exécution de la décision antérieure. L’arrêté des comptes de l’article 541 du Code de procédure civile ancien, quant à lui, est établi entre deux parties dans la procédure spéciale de reddition des comptes (Bulletin des commissaires aux comptes 1980, n° 37, mars 1980, p. 96 et suivantes). Les différences de ces actes justifient l’application de régimes juridiques distincts.
Après avoir étudié les pouvoirs de l’assemblée générale ordinaire d’approbation des comptes, il convient d’apprécier les conditions dans lesquelles l’assemblée des actionnaires peut se prononcer sur une résolution, décidé en cours de séance, et dont l’objet serait de modifier les comptes sociaux soumis au vote des actionnaires.
MODIFICATION DES COMPTES SOCIAUX ET ORDRE DU JOUR DE L’ASSEMBLEE GENERALE ORDINAIRE ANNUELLE
Le vote des actionnaires réunis en assemblée générale ordinaire est encadré par l’ordre du jour de l’assemblée pour laquelle ils sont convoqués. Selon les dispositions conjuguées de l’article 160 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 et 128 du décret n°67-236 du 23 mars 1967, l’assemblée ne peut délibérer sur une question qui n’est pas inscrite à l’ordre du jour, celui-ci étant arrêté par l’auteur de la convocation.
Nous savons que les actionnaires, sous certaines conditions de détention du capital social édictées par la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 et son décret d’application, ont la faculté de requérir l’inscription à l’ordre du jour de projets de résolutions.
Une résolution, rédigée par les actionnaires en cours de séance, visant à modifier les comptes soumis à leur approbation, entre-t-elle dans l’ordre du jour ?
Une résolution visant la modification des comptes sociaux approuvés par une précédente assemblée constitue-t-elle un ajout à l’ordre du jour ?
Le régime des résolutions, rédigées en cours de séance par un actionnaire, visant la modification des comptes soumis à l’approbation de l’assemblée générale ordinaire
Par une première approche de la question, Monsieur Houin (RTD com. 1972, p 118) distingue les additions à l’ordre du jour concernant des résolutions nouvelles, des modifications à apporter aux résolutions figurant à l’ordre du jour. Seules les additions seraient soumises aux formalités des articles 160 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 et 128 du décret n° 67-236 du 23 mars 1967, les modifications pouvant être proposées par tout actionnaire au cours de l’assemblée pour être soumises au vote.
La solution proposée par Monsieur Houin est clairement admise et adoptée par la doctrine et la jurisprudence à propos des comptes sociaux soumis au vote de l’assemblée des actionnaires.
La réponse ministérielle à Monsieur Henri Arnaud aborde également ce problème et admet que la modification des comptes sociaux est à l’ordre du jour de l’assemblée générale ordinaire annuelle réunie pour se prononcer sur l’approbation desdits comptes.
L’association nationale des sociétés par actions, dans sa communication des mois de septembre et octobre 1992 (n° 2609, p. 2) admet qu’un actionnaire prenne, en cours de séance, l’initiative de proposer une modification des comptes sociaux qui se rattache à l’ordre du jour. Elle rappelle que l’obligation d’information des actionnaires, par le biais de l’envoi de documents organisé par l’article 133 du décret n° 67-236 du 23 mars 1967, ne doit pas être un obstacle à la modification des comptes par les actionnaires. Le droit d’information et de communication des actionnaires a pour objet de leur assurer une information satisfaisante sur les comptes sociaux dont ils auront à débattre, et non d’empêcher le débat sur ces comptes.
La modification, par l’assemblée des actionnaires, des comptes sociaux votés par une précédente assemblée
De telles modifications devront être considérées comme un ajout à l’ordre du jour et respecter les formalités prescrites par les articles 160 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 et 128 du décret n° 67-236 du 23 mars 1967.
L’assemblée générale ordinaire des actionnaires ne pourrait donc évoquer une résolution, rédigée en séance, ayant pour objet de modifier les comptes d’un précédent exercice. Une telle résolution devra être inscrite à l’ordre du jour par l’auteur de la convocation ou des actionnaires usant de leur pouvoir de proposition.
Il convient à présent de constater que le pouvoir dont dispose l’assemblée ordinaire des actionnaires en matière de modification des comptes peut avoir des effets pervers, qui se font ressentir en matière fiscale, mais également en terme de démocratie dans la société.
EFFETS DE LA MODIFICATION DES COMPTES SOCIAUX
PAR L’ASSEMBLEE GENERALE ORDINAIRE
L’élaboration des bilans, annexe et compte de résultat est une obligation légale.
Les modifications des comptes sociaux par une résolution élaborée en cours de séance aura des répercussions sur les formalités fiscales et éventuellement, les droits à payer.
Elles auront également des effets sur les actionnaires, dont certains ne seront pas en mesure d’apprécier toute la portée des modifications projetées.
INCIDENCES FISCALES DE LA MODIFICATION DES COMPTES SOCIAUX PAR L’ASSEMBLEE GENERALE ORDINAIRE
La chronologie des formalités légales est une source importante de complication des opérations d’approbation des comptes de la société. Monsieur Houin (RTD com. 1972, p 118) rappelle qu’une proposition de modification des comptes au cours de l’assemblée, par un actionnaire, pourra avoir des répercussions sur le résultat et donc son affectation, éventuellement sur la distribution des dividendes, voire même des conséquences plus graves pour le calcul du montant des bénéfices. Les répercussions visées sont accentuées en fonction du nombre de sociétés imbriquées.
Chronologie des formalités légales
Les dirigeants de la société disposent d’un délai de six mois à compter de la clôture de l’exercice social pour convoquer et réunir les actionnaires en assemblée générale ordinaire appelée à statuer sur les comptes.
La société dispose d’un délai de trois mois à compter de la clôture de l’exercice pour déposer sa déclaration de bénéfice ou de déficit de l’exercice (Article 223-I du Code général des impôts).
En pratique, il est très fréquent que l’assemblée des actionnaires se réunisse après le dépôt aux services fiscaux de la liasse fiscale relative aux comptes sociaux. Les dirigeants sociaux sont donc contraints, du fait de la chronologie inversée des obligations juridiques et fiscales, d’anticiper sur le contrôle des actionnaires en déposant les comptes sociaux avant qu’ils n’aient été approuvés par la collectivité des actionnaires. La société risque donc de voir les comptes déposés, modifiés par les actionnaires.
Effets en terme de formalités légales
Les effets en terme de formalités légales sont importants. En effet, les comptes sociaux font l’objet d’un dépôt auprès des services fiscaux.
L’article 223-2-1° du Code général des impôts exige que les personnes morales passibles de l’impôt sur les sociétés fournissent, en même temps que leur déclaration de bénéfice ou de déficit, les comptes rendus et les extraits des délibérations des conseils d’administration ou des actionnaires.
L’article 223-2-2° du Code général des impôts exige, quant à lui, un état indiquant les bénéfices répartis entre actionnaires.
En pratique, compte tenu du fait que les actionnaires sont communément réunis après le dépôt de la déclaration des résultats, la copie des délibérations de l’assemblée générale ordinaire statuant sur les comptes et la copie des délibérations du conseil d’administration ou du directoire ayant trait à cette assemblée seront jointes à la déclaration des résultats adressée l’année suivante au centre des impôts. L’administration fiscale admet même que ne lui soient adressées que les délibérations ayant une incidence sur l’exigibilité de l’impôt de distribution (Réponse ministérielle Monsieur Bérard, J.O.A.N. du 17 juillet 1965, p. 2899).
Par conséquent, si les actionnaires votent des délibérations modificatives des comptes, l’administration fiscale devra en être destinataire, tant pour ce qui concerne les comptes du dernier exercice clos, que pour ce qui concerne les éventuelles modifications apportées aux comptes de précédents exercices.
Les services fiscaux adoptent une position laxiste en matière de formalités de dépôt des actes d’approbation des comptes et de répartition des dividendes. Ils se révèlent plus rigoureux lorsque la société dépose une déclaration rectificative portant sur une décision de gestion.
Le Conseil d’Etat, par un arrêt du 10 février 1961, a précisé que, «  si une entreprise est toujours en droit de demander par la voie contentieuse que son bénéfice imposable soit diminué pour tenir compte d’erreurs qu’elle aurait pu commettre dans les écritures comptables servant à la détermination de celui-ci, cette faculté ne s’étend pas aux décisions qu’elle est amenée à prendre en ce qui concerne sa gestion, et qui, du point de vue fiscal, l’engagent irrémédiablement une fois passé le délai de déclaration « .
Une réponse ministérielle a également précisé que «  les provisions dont la constitution est postérieure à l’expiration du délai de déclaration peuvent toujours, par mesure de tempérament, être admises en déduction à la condition qu’elles résultent d’une décision de l’assemblée générale annuelle et non d’une décision rectificative prise par une assemblée générale nouvelle » (R.M., J.O. déb. Sénat, 4 avril 1978, p. 338, publiée in Bull. C.N. n° 30, p. 190).
Ainsi, la rigueur fiscale sera de nature à tempérer les ardeurs des actionnaires tentés de modifier les comptes de l’exercice ou ceux des exercices antérieurs.
Effets en cascade
Les répercussions fiscales des modifications des comptes peuvent ne pas être cantonnées à la seule société dont les comptes sont approuvés. D’autres personnes morales peuvent en subir les conséquences si la société est filiale d’un groupe de sociétés.
Dans les groupes de sociétés, les sociétés peuvent, en effet, être tenue à une comptabilité consolidée. La modification des comptes de l’une des sociétés du groupe pourra donc avoir des effets en cascade sur les comptes consolidés de tout le groupe.
Conséquences, sur les droits des tiers et des actionnaires, de la modification des comptes sociaux par l’assemblée générale ordinaire
Le pouvoir des actionnaires en matière de modification des comptes annuels peut porter atteinte aux droits des tiers . Mais il peut également porter atteinte aux droits des dirigeants sociaux et des actionnaires présents, absents ou représentés La société doit s’en inquiéter.
Droits des tiers
Les comptes sont déposés et portés à la connaissance des tiers par une publicité. Si les actionnaires modifient les comptes approuvés par une assemblée antérieure, les tiers devront en être informés. En effet, les comptes qu’ils ont pu consulter depuis une année auprès des services du tribunal de commerce auront subi des modifications dont ils devront avoir connaissance. La modification des comptes devra donc être suivie d’une publicité, par un dépôt d’une note rectificative au greffe du tribunal de commerce.
Dans les sociétés munies d’un comité d’entreprise, les comptes sont communiqués à cet organe. Si les comptes sont modifiés en cours d’assemblée générale, la société sera tenue de procéder à une nouvelle information du comité d’entreprise par la communication des comptes modifiés (Economie et Comptabilité 1986, n° 157).
Enfin, nous avons déjà noté que les comptes sont déposés auprès des services fiscaux auxquels, dès lors, une liasse fiscale modificative devra être remise.
Atteinte aux droits des dirigeants sociaux et des actionnaires présents
La liberté de modification, en cours de séance, des comptes par les actionnaires peut avoir des effets pervers. Une partie de la doctrine et Monsieur le Député Henri Arnaud s’en sont inquiétés. Une proposition de modification importante, inspirée en séance par un actionnaire, pourrait être dangereuse. Elle pourra surprendre, tant les actionnaires présents, que les dirigeants sociaux.
Nous pourrions objecter à cet argument que les actionnaires absents ont pris la décision de ne pas participer au débat. Ils ont donc accepté le risque, peut-être mal apprécié, d’être confronté à des modifications des comptes.
Quant aux actionnaires présents, ils ne sont pas toujours en mesure d’analyser et de comprendre les modifications techniques projetées par d’autres actionnaires. Toutefois, le droit d’information préalable réglementé par la loi et le décret est suffisamment étendu pour permettre de pallier, tout ou partie, de cette carence.
Quant aux dirigeants sociaux, administrateurs ou membres du directoire, ils détiennent en règle général une action de la société et, à ce titre, participent aux assemblées. En leur qualité de professionnels de la gestion de l’entreprise, ils ont dressé les bilans et rédigé le rapport de gestion, et peuvent donc apprécier toutes modifications des comptes sociaux proposées en cours de débat.
Les commissaires aux comptes, eux-mêmes convoqués pour l’assemblée générale ordinaire annuelle d’approbation des comptes, pourront émettre un avis quant aux modifications proposées, et aux conséquences qu’elles seront susceptibles d’entraîner.
La compétence technique des professionnels devrait gommer l’absence de connaissance de la plupart des actionnaires dans ce domaine, simples apporteurs de capitaux, et permettre un contrôle, en cours de séance, des propositions de modification des comptes sociaux.
Force est toutefois de constater que la modification des comptes sociaux proposée par un ou plusieurs actionnaires en cours de séance ne fera pas l’objet d’une étude aussi approfondie que pour une résolution inscrite à l’ordre du jour sur laquelle les actionnaires auront pu travailler pendant un délai minimum de quinze jours.
Sur un plan pratique, une partie de la doctrine conseille de n’accepter, en cours d’assemblée, que les modifications mineures qui n’ont pas de répercussion sur le résultat de l’exercice, son affectation et la distribution des dividendes. Les modifications importantes ne devront pas être évoquées lors de l’assemblée qui devra être ajournée. L’ajournement ne sera pas une simple suspension, mais nécessitera la convocation d’une nouvelle assemblée, donc le respect de toutes les formalités liées à cette procédure, tant au regard du conseil d’administration ou du directoire, qu’au regard de l’assemblée des actionnaires.
Cette hypothèse ne pourra être envisagée que si le délai de six mois à compter de la clôture de l’exercice social, dans lequel l’assemblée générale ordinaire annuelle des actionnaires doit se réunir en application de l’article 157 alinéa 1er de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, n’est pas encore expiré.
Si la nouvelle assemblée ne peut être convoquée dans ce délai, le conseil d’administration ou le directoire peut, par le jeu des dispositions de l’article 121 du décret n° 67-236 du 23 mars 1967, demander au président du tribunal de commerce d’accorder, par une ordonnance sur requête, la prolongation du délai de six mois.
L’ajournement permettra au conseil d’administration ou au directoire de refaire des comptes, de les soumettre aux commissaires aux comptes et au comité d’entreprise, de rédiger un nouveau rapport de gestion et, d’envisager les conséquences fiscales des modifications proposées.
L’assemblée disposera donc des comptes d’origine et de leurs commentaires. Elle sera également mise en possession des projets de modification, de leurs commentaires et de leurs éventuelles conséquences.
Vote par procuration
Enfin, il convient d’évoquer la difficulté liée au pouvoir donné par un actionnaire absent.
Le vote donné par un actionnaire absent à un actionnaire présent, avec ou sans indications de vote, ne posera pas de difficultés particulières.
Le vote en blanc confié au conseil d’administration ou au directoire sera plus compliqué. Les textes qui concernent la matière des votes en blanc confiés au conseil d’administration ou au directoire ne visent que les hypothèses, soit des résolutions inscrites à l’ordre du jour, soit des résolutions nouvelles.
Selon les dispositions de l’article 161 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, le vote est défavorable à l’adoption de tout projet de résolution qui n’a pas été présenté ou agréé par le conseil d’administration ou le directoire.
L’article 132 alinéa 3 du décret n° 67-236 du 23 mars 1967 prévoit que le mandat donné pour une assemblée vaut pour les assemblées successives convoquées avec le même ordre du jour.
Nous avons relevé que la doctrine et la jurisprudence estiment que le vote d’une modification des comptes est à l’ordre du jour de l’assemblée d’approbation des comptes. Le mandataire pourra donc voter la modification des comptes.
L’association nationale des sociétés par actions (ANSA, sept-oct 1992, n° 2609, p. 4) conseille pourtant, si les modifications sont importantes, de permettre aux actionnaires de donner un nouveau mandat.
Une telle position excède les obligations légales et réglementaires applicables aux sociétés commerciales en prônant une information accrue de l’actionnaire. Son prix en serait un alourdissement considérable du fonctionnement de la société.
CONCLUSION
Les textes et la jurisprudence reconnaissent donc assez largement le droit de l’assemblée générale ordinaire des actionnaires de modifier les comptes sociaux.
Le pouvoir de modification est reconnue pour les comptes du dernier exercice clos, mais également pour ceux qui ont été approuvés par une précédente assemblée.
Ce débat soulève des questions d’opportunité, les modifications des comptes ayant d’importantes conséquences.
Ne devrait-on limiter, voire ôter, l’exercice de ce pouvoir à l’assemblée générale ordinaire des actionnaires, pour supprimer, notamment, les conséquences de nature fiscale ou l’atteinte au droit d’information des actionnaires. Monsieur Houin envisage, afin d’éviter les graves conséquences potentielles de la modification des comptes, de laisser le soin de contrôler et d’approuver les comptes à un organe de surveillance, comme en droit allemand.
Il s’agirait d’une réforme en profondeur qui peut ne pas se justifier actuellement. En pratique, l’assemblée générale ordinaire annuelle d’approbation des comptes offre rarement l’occasion d’un débat technique sur les bilans, annexe et compte de résultat. L’absence de débat s’explique, par le bon fonctionnement de l’essentiel des sociétés commerciale. Il s’explique, également, par la faiblesse des compétences techniques des actionnaires. Il s’explique, enfin, par le fait que les actionnaires ne connaissent pas l’étendue des pouvoirs dont ils disposent lorsqu’ils sont réunis en assemblée générale ordinaire.
Pour pallier leur lacune, les actionnaires font appel, à bon ou mauvais escient, à l’expertise de gestion de l’article 226 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966. Le débat est alors confié aux plaideurs, aux techniciens et aux tribunaux.
Conseillons plutôt aux actionnaires de mieux appréhender l’étendue de leur pouvoir, et d’en user avec efficacité quand l’occasion leur est donnée, annuellement, de se prononcer sur la gestion des dirigeants sociaux et sur les comptes qu’ils ont dressés. Ils arbitrerons entre, d’une part, leur droit au débat, leur pouvoir de proposition, leur droit de vote, et d’autre part, la protection des intérêts des minoritaires et des intérêts de la société.